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Ville morte: Bilan

Voulue par les uns, détestée par d’autres, la journée du 16 février 2016 a vécu. Dieu merci, il n’y a eu, globalement, ni casse ni mort d’homme. Seuls quelques boutefeux ont cru devoir exercer leur zèle jusqu’à la folie, en ordonnant des arrestations et des procédures en flagrance contre des militants de Lucha à Kinshasa et à Goma, ainsi que des interpellations et des intimidations dans le Katanga.

A l’heure du bilan, force est de constater que l’opposition s’en est tenue à son mot d’ordre tout en invitant ses partisans à la discipline. La majorité s’est abstenue de jouer à la provocation et la police s’est montrée à la fois présente, discrète et professionnelle. Ainsi devrait vivre une démocratie saine.

Sur le fond, les attentes de la population ne font plus désormais aucun doute. Claironnées par différentes organisations de la société civile, églises et partis politiques, entendues lors de la dernière victoire des léopards football au Chan-Rwanda 2016, elles ont été amplifiées à la faveur de la journée ville morte du mardi 16 février, tel que l’ont attesté plusieurs observateurs neutres, notamment le reportage photographique de Radio Okapi. Le leitmotiv n’a pas non plus changé : oui à l’alternance démocratique, oui au respect de la constitution, non à un troisième mandat pour Joseph Kabila.

Quelle que soit la langue utilisée, la majorité, le gouvernement ainsi que le président de la République ne peuvent pas prétendre n’avoir rien vu, rien entendu. Il restera évidemment à savoir ce qu’ils vont en faire, entre le choix de la confrontation et celui de la paix et de la stabilité.

L’opposition a eu aussi sa part de message. Si le regroupement «Dynamique de l’opposition-G7-Front citoyen 2016-Front Anti Dialogue» a eu le mérite de tester la capacité de mobilisation de l’opposition, il faut reconnaître, en revanche, que la position flottante de l’Udps a failli, comme en janvier 2015, brouiller le message. Comme dans la problématique du dialogue, un pas en avant, deux pas en arrière, un pas sur le côté droit, un autre à gauche, entre les partisans du oui, ceux du «oui mais», enfin ceux du non au sein d’un même parti, les Congolais ont failli une nouvelle fois ne pas s’y retrouver. Au bénéfice de son image en tant que parti, mais aussi de son leadership, l’Udps a intérêt à clarifier sa démarche, à fédérer, dût-elle s’obliger à des choix parfois difficiles mais combien indispensables.

Que la majorité et, dans son sillage, le gouvernement ironisent sur le bilan de la ville morte, ils sont dans leur posture normale et dans leur rôle naturel, certes avec quelques nuances. Ainsi quand André Atundu Liongo s’exprime, aucun observateur sérieux n’oublie qu’il reste fidèle au rôle qu’il a toujours joué depuis le régime Mobutu en tant qu’Administrateur principal du SNIP (Service d’intelligence). En revanche, on peut être dubitatif en ce qui concerne Lambert Mende Omalanga qui raffolait des villes mortes du temps de l’opposition radicale version CNS mais qui, aujourd’hui aux côtés du même Atundu qui les réprimait hier, n’est pas loin de les assimiler à des véritables crimes.

Mais l’essentiel n’est pas là. On constatera, à l’heure du bilan, que plus personne ne peut plus faire comme si de rien n’était. Bien au contraire, quelques frémissements, disons quelques «glissements», ne serait-ce que d’ordre sémantique, pour ne pas dire plus, sont déjà perceptibles. A commencer par la communauté internationale qui tente, une nouvelle fois, d’imprimer son tempo à la dynamique de la recherche d’un compromis politique en RDC. Dans un communiqué daté du 16 février 2016 signé par l’Organisation Internationale de la Francophonie, l’Union Africaine, les Nations Unies et l’Union Européenne, les quatre organisations déclarent soutenir les consultations engagées par le Togolais Edem Kodjo. Elles soulignent l’importance du dialogue politique et de la recherche d’un accord entre les acteurs politiques, dans le respect de la démocratie et de l’Etat de droit. Elles insistent sur le fait que les efforts de tous les acteurs politiques doivent s’exercer «dans le cadre de la constitution» et, répondant à la critique formulée contre le communiqué de la présidente de la Commission de l’Union Africaine de janvier dernier, elles précisent que les efforts déployés par l’Envoyé spécial de l’UA doivent s’inscrire dans «le cadre des instruments pertinents de l’UA, y compris la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance».

Les quatre organisations s’engagent aussi à «coordonner étroitement leurs efforts en RDC, dans le respect de leurs principes et valeurs, notamment en ce qui concerne la promotion de la démocratie et de l’Etat de droit». Par ailleurs, dans un communiqué rendu public le 18 février, les ambassadeurs de la Belgique, du Canada, des Etats-Unis et du Royaume Uni ont célébré, à leur manière, le 10ème anniversaire de la constitution de la République démocratique du Congo, «fruit de longues négociations et de compromis entre un large éventail de parties prenantes congolaises, puis endossée par une forte majorité de la population dans un élan d’expression de volonté nationale, et promulguée par le président de la république, au nom de tous les Congolais».

La célébration de la constitution par des figures de proue de la communauté internationale ainsi que la référence aux instruments pertinents de l’UA constituent à n’en point douter des signaux clairs par rapport aux critiques récemment formulées par l’opposition congolaise et plusieurs organisations de la société civile contre la mission d’Edem Kodjo. Cependant, si l’entérinement en douce du principe d’une médiation internationale – message subliminal des deux communiqués –   est susceptible de satisfaire des partis tels que   l’Udps qui a toujours réclamé la désignation d’un facilitateur par la communauté internationale, il n’est en revanche pas évident que ce développement, particulièrement la place grandissante que la communauté internationale entend prendre dans l’avènement du dialogue, à la fois pour sécuriser tous les acteurs et servir de garantie de bonne fin, soit du goût de la majorité, quand bien même celle-ci s’était félicitée en son temps de la désignation d’Edem Kodjo en janvier dernier.

Reste que ce n’est pas seulement du côté de la Communauté internationale qu’on a entendu des frémissements. Des «glissements», certes encore d’ordre sémantique, sont de plus en plus perceptibles parmi les acteurs congolais. Le cas de ce communiqué du G7 daté du 20 février 2016. Ce dernier se félicite certes de l’intérêt de la communauté internationale à la République Démocratique du Congo, mais il souscrit en même temps «à l’idée des négociations directes entre acteurs politiques plutôt qu’à celle du dialogue soutenu par le président de la république», tout en soulignant «l’engagement de quatre organisations internationales d’accompagner M. Edem Kodjo». En outre, «Le G7 lance un appel pressant à l’Union Africaine, aux Nations Unies, à l’Union Européenne et à l’Organisation Internationale de la Francophonie de tout mettre en œuvre afin que le président Kabila, garant de la Constitution, la respecte et libère la démocratie et le processus électoral, gages de l’unité nationale, de la paix, de la stabilité et du développement durable».

Enfin, last but not least, on apprend que dans certains cercles de la majorité, on n’est plus aussi figé qu’on l’était il y a quelques mois, certains cadres ayant entrepris de réfléchir sur de possibles alternatives, y compris à une transition sans Joseph Kabila. Mais entre la réflexion et la proposition, il est vrai qu’il y a souvent tout un monde.

 

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