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Une lecture des enjeux politiques de la RDC à partir d’un sondage d’opinion

Cet article fait partie d’une série d’essais qui commentent le sondage publié par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et le Bureau d’Études, de Recherches, et Consulting International (BERCI). Vous pouvez aussi télécharger cet article ici

Par Jean Omasombo Tshonda

Le sondage effectué par le Groupe d’études sur le Congo (GEC) et le Bureau d’études, de recherches et de consulting international (BERCI) porte notamment sur le processus électoral en RDC et dans ce contexte sur les intentions de vote des futurs électeurs. Il fourni un aperçu indispensable de l’opinion populaire congolaise qui permet à mieux comprendre les dynamiques politiques en cours.

Mais avant d’aborder ce sujet, il convient de situer le contexte dans lequel se situe cette problématique. Car, en effet, un premier élément qui caractérise la classe politique congolaise est la rapidité de la mutation du champ politique national. Ce qui pèse sur la portée des résultats du sondage, comme les auteurs le signalent d’ailleurs et l’illustrent les sondages effectués pendant la campagne électorale de 2006. Ce va-et-vient des acteurs politiques non seulement modifie et déstabilise les jeux de forces sur la scène politique mais en outre mine la confiance de la population envers la classe politique. Ainsi, par exemple, Vital Kamerhe fut dans un premier temps co-fondateur du PPRD et son premier secrétaire général. En 2006 il devint président de l’Assemblée nationale mais en 2009, suite à un différend avec Kabila, il fut démis de ses fonctions et exclu du PPRD. Il entra alors dans l’opposition et créa son parti UNC. En février 2016, Moïse Katumbi, Étienne Tshisekedi et lui se constituèrent en front commun. Le 5 mai, Katumbi ayant annoncé sa candidature à la présidence sans avoir reçu son accord, le trio se rompit et Kamerhe se retrancha dans son camp mais demeura dans l’opposition. Et lorsque le dialogue voulu par Joseph Kabila fut mis sur pied, il prit l’option d’y participer et se sépara ce faisant de l’opposition radicale qui prit la décision inverse. Ainsi, de 2006, année au cours de laquelle il contribua à justifier « Pourquoi j’ai choisi Kabila ? » et à le faire élire, à janvier 2015, pendant laquelle il fit gagner à l’opposition ses premières grandes manifestations, et enfin à octobre 2016 où il signa le rapport issu du dialogue pour permettre le « glissement ». Quel parcours ! Cette volatilité politique complique la tache aux enquêteurs, contraints de s’arrêter sur un aperçu momentané des opinions pourtant changeantes.

Le constat peut-être le plus frappant c’est le déclin de la popularité de Joseph Kabila qui passe de 48,9% du vote déclaré en 2011 à 7,8% dans ce sondage. Sur ce point, il y a lieu de tenir compte des quelques traits. À ses débuts dans l’arène politique, lorsqu’il succéda à son père, Joseph Kabila suscita parmi l’opinion congolaise et internationale l’espoir que ce jeune homme qui semblait motivé par de bonnes intentions allait changer le mode de gouvernance habituel. Mais dès le moment où il put se considérer comme légitimé par le processus électoral il déclara le 6 décembre 2006 lors de son investiture comme président de la République la phrase désormais célèbre « la récréation est terminée ». Or il ne fallut pas longtemps pour réaliser ce que ce propos jugé souvent sibyllin signifiait en fait le retour aux pratiques centralisatrices. Dans son éditorial récent du journal Le Soir, Colette Braeckman évoquant les manœuvres de Kabila écrit : « Durant plusieurs années, on a pu y croire, à ces promesses (…). Mais voilà que les vieilles habitudes sont revenues, les trucs et ficelles pour rester au pouvoir. On croit assister à un remake des années Mobutu, mis en œuvre par des spécialistes de l’époque. Avec des pourparlers en coulisses, des grands-messes appelées « dialogue », des enveloppes qui circulent sous la forme de per diem. Des voisins complaisants qui donnent quelques conseils pratiques au nouveau membre du club de ces présidents qui, ne voulant pas quitter le pouvoir, s’entourent de griots, de flatteurs, qui prendront la fuite ou retournerons leurs vestes au premier coup de grisou. ».

Mais après 56 années d’indépendance, l’environnement sociopolitique a changé. Le temps du personnage charismatique incarnant la nation et lui promettant comme par magie un avenir prospère est dépassé. La perspective d’un futur heureux a laissé la place à une désillusion profonde. Totalitarisme, corruption, impunité, arbitraire, violences, … sont le vocabulaire de l’opposition aujourd’hui. Au vu de ceux qui envahissent les rues pour faire entendre leur voix aspirant au changement, Colette Braekman identifie des signes annonciateurs de mutation. Elle fait les observations pertinentes qui suivent : «  Ils n’ont pas trente ans mais leurs pères leur ont raconté la comédie du pouvoir du temps de Mobutu et surtout ils leur ont dit où cela pouvait mener : les révoltes dans la rue, voire les pillages, la répression inévitablement excessive, meurtrière. Ils n’ont pas trente ans et leurs rêves sont simples : ils veulent du travail, une vie digne, un pouvoir qui ne ment pas, qui ne vole pas. Les jeunes Congolais savent, mieux encore que leurs aînés, que tout est lié : la démocratie, le respect de la Constitution, c’est tout, simplement le pouvoir de sanctionner ceux dont le capital de confiance s’est érodé, la possibilité de donner à d’autres la possibilité de faire autrement, mieux si possible. Ils n’ont pas trente ans, mais ils refusent de cautionner un système déjà vieilli, ils disent non et posent des actes collectifs, mènent des manifestations durement réprimées, crient dans les stades à l’issue de chaque match. ».

Aujourd’hui donc, c’est au président Kabila que la majorité de l’opinion s’adresse pour exiger de respecter la Constitution : 81,4% rejette un changement de la Loi fondamentale pour permettre à Kabila de briguer un troisième mandat. Dans cette quête d’une aspiration légitime, les appartenances ethniques ou régionales généralement prégnantes dans semblable contexte cèdent la place à une revendication commune, fait que confirment les résultats engrangés par le sondage selon lesquels l’ethnicité et l’origine géographique jouent aujourd’hui un rôle ambigu. La Lucha dont l’ancrage était essentiellement le Nord-Kivu est actuellement présente à Kinshasa. Lorsque Tshisekedi tenta de négocier fin 2015 début 2016 la position de Kabila qui aurait conduit à un arrangement de pouvoir, il fut menacé non seulement par une grande partie de l’opinion mais même à Mbuji-Mayi où il conserve un bastion très fidèle. Quand Kabila essaya en 2014 de gagner le soutien de sa province d’origine, il se vit opposer le refus de prétendre à un troisième mandat par Moïse Katumbi alors gouverneur du Katanga et encore membre de la Mouvance présidentielle.

Le chef de l’État a même perdu le soutien de sa base ethnique Lubakat qui l’avait « totalement »[1] soutenu en ce qui concerne une réélection en 2011[2] : sa popularité aujourd’hui dans les provinces du Haut-Lomami et du Tanganyika se situe autour de 7%. En fait, le chef de l’État n’eut plus autour de lui qu’un entourage de plus en plus hétéroclite. Ces partisans ou plutôt ces mercenaires sont payés à la tâche et n’ont d’autre finalité que de veiller à la survie au pouvoir de la personne de Kabila. Dès le moment où modifier la Constitution devint une option difficile à mettre en œuvre, la solution lui permettant de demeurer à la tête de l’État fut le report des élections. Il trouva en Corneille Nangaa, l’acteur qui allait lui permettre de concrétiser sa volonté alors que celui-ci est originaire de la province de l’Ituri (ex district de la Province-Orientale) et désigné à la succession d’Apollinaire Muholongu Malu-Malu par les confessions religieuses à l’exception de l’église catholique.

Dans ces conditions établir une liste d’éventuels candidats à soumettre aux répondants au sondage pose problème. GEC et BERCI ont choisi de retenir[3] dans les cinq premières questions relatives aux candidats susceptibles de se présenter à la future élection présidentielle une liste de 23 acteurs considérés comme présidentiables. La finalité d’un sondage étant d’offrir une image aussi réaliste que possible d’une situation à un moment donné, cette liste reflète ce qu’il y a de plus accessible. Elle porte effectivement sur les noms les plus médiatisés à l’heure actuelle dont visiblement 6 pro-pouvoir et 17 pro-opposition. Cette liste peut être jugée comme suffisante par certains, ou aléatoire et orientée par d’autres. Quoiqu’il en soit, des analyses de long terme devraient permettre de percevoir quels sont les facteurs qui déterminent l’évolution de la situation à ce sujet. Un premier point est à prendre en considération : en fait, la limite du nombre de candidatures à l’élection présidentielle en RDC ne semble résulter que de l’importance de la caution exigée pour poser sa candidature. En outre, les appétits financiers continuent à passer avant les convictions relatives au sens de l’État et aux préoccupations portant sur les aspirations de la population. Dès lors la question qui se pose est : comment devient-on acteur politique dans ce pays ?

La crise politique actuelle engendrée par le silence du président Kabila quant à ses intentions en ce qui concerne le scrutin prévu constitutionnellement fin 2016 apporte une dimension supplémentaire au choix des candidats qui a été opéré. Pour l’opposition, d’une façon générale, le respect de la Constitution est devenu l’axe central de leur revendication. Or en février 2006, à l’occasion de la promulgation de celle-ci, Joseph Kabila avait promis solennellement de la respecter, ce que d’ailleurs la Constitution lui impose. L’article 69 alinéa 2 stipule en effet que : « Il (le Président de la République) veille au respect de la Constitution ». Au lendemain de la clôture des « Concertations politiques » organisées du 7 septembre au 5 octobre 2013 dans le but de consolider la cohésion nationale et de mettre fin aux cycles de violence à l’Est de la RDC, il déclara dans un discours devant le Congrès : « Je suis pour le respect par tous, de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son ensemble, telle qu’adoptée par référendum populaire en 2005 ». (RDC, Primature.cd octobre 2013). Quant à Mobutu, lorsqu’il prit le pouvoir en 1965 il déclara qu’il ne s’accrocherait pas au pouvoir politique étant un militaire. Faut-il dès lors adhérer à l’opinion selon laquelle faire de la politique équivaut à mentir ? De toute évidence, la parole donnée ne figure pas dans la tradition locale, le fossé entre le dire et le faire demeurant extrêmement large. Cette attitude eut deux effets. D’une part, elle finit par pousser certains membres de la Majorité présidentielle (MP) à la quitter pour rejoindre l’opposition, dont le « Groupe de 7 » partis politiques (G7). D’autre part, elle alimenta la prise de position en faveur de l’alternance des mouvements de la société civile qui augmentèrent et se renforcèrent.

Il est de toute évidence difficile de prévoir ce que sera l’avenir prochain de la RDC. Le sondage du GEC et du BERCI pose d’ailleurs la question de façon limitée : que pourrait-il se passer à la date du 19 décembre 2016 ? La réponse est claire : 74,3% des personnes interrogées veulent que le président démissionne. Certes la Constitution demeure en principe le socle de l’État mais néanmoins Kabila la viola sur plusieurs points et resta focaliser sur son ambition personnelle. La stratégie du pouvoir dans ce contexte vise-t-elle à un enfermement menant à ce que le temps s’épuise sans que le soubassement réglementaire de l’État puisse fonctionner. En effet, la conjoncture n’est plus d’abord celle de la fin d’une guerre, d’une transition organisée selon la formule du 1 + 4, d’une improvisation due à l’assassinat de Kabila père. Aujourd’hui le camp Kabila est devenu attentiste. Ses actions s’ajustent aux soubresauts de la crise qu’engendrent les mouvements de rue le menaçant. Le temps de l’incertitude brouille la vision du lendemain.

Plusieurs facteurs détermineront le sort de la RDC : la décision de Kabila ; le pouvoir de conviction de son entourage ; le niveau de cohésion ou de disparité de l’opposition ; les capacités de mobilisation de la population influencée par les capacités d’action de l’opposition ; la possibilité d’un délitement du pouvoir en place ; la pesanteur du climat d’incertitude. Il est à remarquer que dans l’histoire congolaise la succession d’un pouvoir à un autre n’a jamais en fait été comptabilisée dans les prospectives existantes : ni le coup d’État qui porta Mobutu au pouvoir pour la deuxième fois, ni Laurent Désiré Kabila qui fut déposé au pouvoir à la suite d’une action opportuniste des gouvernements régionaux profitant du délitement profond de l’État Zaïre ou, encore, Joseph Kabila en raison de l’assassinat de Kabila père. Au delà du sondage actuel, tels sont une série d’éléments à prendre en compte.

Jean Omasombo est professeur en sciences politiques à l’Université de Kinshasa et chercheur auprès du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren/ Belgique.

 

 

 

[1] Les scores obtenus dans les régions Lubakat frôlèrent les 100% et certains dépassèrent ce maximum mathématiquement autorisé. Cette situation s’explique par ce qu’avait conclu « Le conclave de l’Association socioculturelle Buluba-i-Bukata » réuni à Kamina du 31 janvier au 2 février 2011.

[2] Gabriel Kyungu, Lubakat du territoire de Manono et co-présidant du conclave de Kamina, avait soutenu le refus de Moïse Katumbi et fait parti du G7.

[3] Cette liste serait le résultat de la méthodologie à la base du sondage. En fait, il revenait aux enquêtés d’avancer des noms. C’est seulement lorsqu’il arrivait que le blocage se présente que des suggestions étaient faites par les enquêteurs. Mais on ne sait évaluer la part de cette intervention dans le sondage.

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