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Politique nationale
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Tshisekedi– Katumbi– Bemba : une alliance renouvelée mais inégalitaire au sein du gouvernement Sama

Le président Félix Tshisekedi reçoit Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, le 26 décembre 2020, à Kinshasa. Copyright : Presidence RDC/Twitter

Au sein de l’exécutif Congolais, trois leaders, Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, se retrouvent de nouveau dans une coalition. Mais sans consacrer un triumvirat. Décryptage.

Ils se sont perdus à Genève, ils se retrouvent à Kinshasa. Vingt-neuf mois après les dissensions autour de leur compromis politique conclu dans la ville helvétique, le président Félix Tshisekedi et ses deux nouveaux ralliés Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont formalisé, le lundi 12 avril dans la capitale congolaise, leur rapprochement à travers le gouvernement Sama Lukonde. Après deux mois d’âpres et interminables tractations autour du partage des portefeuilles et malgré des moments de tension, ces trois grandes figures de la scène politique congolaise ont accepté de se réunir dans le cadre de l’Union sacrée de la nation, nouvelle coalition au pouvoir voulue par le chef de l’État.

Dicté par la volonté commune d’affaiblir l’ancien président Joseph Kabila, qui tenait encore presque toutes les rênes du pays malgré son départ officiel du pouvoir début 2019, ce ménage à trois ne signifie nullement un triumvirat où Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba assureraient désormais en commun la direction de l’État. Il suffit en effet d’observer la configuration de la nouvelle équipe gouvernementale pour s’en rendre compte : « Félix » – comme ses partisans le désignent affectueusement – a tenu à s’assumer comme le boss, le seul patron. Pour ce faire, il a conservé entre ses mains tous les ministères régaliens. Seules les affaires étrangères ont été confiées à un proche de Moïse Katumbi. Là aussi, « domaine de collaboration entre le président et le gouvernement », Félix Tshisekedi y disposera d’un droit de regard.

Comprendre la mainmise de Tshisekedi

Les quelque 200 députés dissidents du Front commun pour le Congo (FCC), plateforme politique de Joseph Kabila, n’ont pas non plus pesé dans la balance lors de la répartition des postes. D’autant qu’ils ont souvent rejoint individuellement l’Union sacrée de la nation et ne forment plus un bloc. Le fait que Jean-Marc Kabund-a-Kabund, président intérimaire de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, parti présidentiel) soit la personne qui a défendu leurs intérêts en dit long sur leur désunion, voire fragilité. « Nous n’avons hérité d’aucun ministère de souveraineté », constate, impuissant, un député FCC pro-Tshisekedi. Les dissidents FCC n’ont obtenu aucun poste clé et ne se retrouvent pas non plus dans la chaîne de la dépense publique.

Comment comprendre cette mainmise du chef de l’État sur un gouvernement pourtant issu d’une coalition hétéroclite aux intérêts très divergents ? « [Félix Tshisekedi] est le seul à qui les Congolais demanderont des comptes en 2023 », répond au Groupe d’étude sur le Congo (GEC) l’un de ses plus proches collaborateurs, regrettant au passage que Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi n’aient « pas voulu ‘se mouiller’ directement ». Allusion à la réticence de ces derniers à faire partie personnellement du gouvernement. Selon plusieurs sources consultées par le GEC, le poste du Premier ministre a été même proposé à plusieurs reprises à Moïse Katumbi, mais le dernier gouverneur du Katanga avait opposé une fin de non-recevoir, proposant à sa place certains de ses lieutenants. Ce que le président de la République a, à son tour, refusé. En fait, depuis l’épisode de Genève, ces trois leaders ne se font plus totalement confiance et les difficiles négociations autour de la composition du gouvernement n’ont pas aidé à raffermir les relations. Au contraire.

Les discussions se sont alors très rapidement cristallisées autour des postes clés que les uns et les autres occuperaient, à travers leurs formations politiques, au sein du gouvernement. Pour marquer sans doute une rupture avec le schéma des gouvernements pléthoriques qu’a connu le pays ces derniers mois, l’idée de constituer une équipe de 45 ministres a éclos et fait l’unanimité. Dans une interview à Top Congo, Modeste Bahati le confirme à l’issue de sa mission d’informateur : la nouvelle équipe n’ira « pas jusqu’à 50 » ministres. Une clé de répartition est alors trouvée : un maroquin pour huit sièges à l’Assemblée nationale. Plus tard, chaque partie prenante aux négociations sort sa calculette et envoie des noms de ses ministrables au Premier ministre Sama Lukonde.

Frustration et déception parmi les coalisés

« Nous étions les seuls à demander de connaître d’abord les portefeuilles qui nous revenaient avant d’envoyer des profils correspondants », nous confie-t-on dans l’entourage de Moïse Katumbi. Ensemble pour la République, le regroupement de ce dernier, avec ses quelque 70 députés, espère alors au moins huit portefeuilles. Dans le lot, entre autres, la Justice, le Budget, la Défense ou encore les Transports. Mais, à l’arrivée, comme pour les autres membres de l’Union sacrée de la nation, c’est Félix Tshisekedi, à travers son chef de gouvernement, qui tranche et attribue ce qu’il veut aux ministrables proposés. Non sans susciter de la déception et de la frustration parmi les nouveaux coalisés. D’autant que le nombre de ministères est finalement passé de 45 à 56 sans que le quota des uns et des autres ne soit revu à la hausse. Au contraire, certains regroupements politiques ont obtenu moins de postes que ceux initialement prévus.

Conséquence : certains députés ex-FCC qui se voyaient déjà au gouvernement ont commencé à rouspéter. Ils se sont concertés, ce 14 avril, au palais du Peuple et promettent une déclaration commune. « Il ne faut pas oublier que la composition du gouvernement obéit également à des considérations autres que le poids politique à l’Assemblée nationale. Le président devait tenir compte par exemple de la place de la société civile, voire des cas spécifiques de certaines organisations politiques, à l’instar du premier allié de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti du président), l’Union pour la nation congolaise (UNC), dont le chef, détenu, est privé d’exercer ses fonctions de directeur de cabinet », se défend un proche du Premier ministre.

Somme toute, cette alliance reconstituée, bien que fragile, entre les trois leaders et la composition du gouvernement qui en résulte ne suffiront pas seules à résoudre les défis qui attendent les nouveaux ministres dans un contexte de crise sanitaire, avec un budget dérisoire. Il faudra donc imprimer une vision politique claire face aux enjeux de la paix dans l’Est, de l’amélioration du bien-être social des Congolais et des réformes structurelles. Un draft du programme du gouvernement vient d’être envoyé aux ministres nouvellement nommés pour qu’ils y incorporent quelques ajustements. Selon une autre source proche du Premier ministre, « la semaine prochaine », le document sera présenté aux députés pour approbation. Débutera alors l’heure de la vérité au sein de l’Union sacrée de la nation, qui tarde à se structurer, entre ses trois poids lourds.

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