Fin janvier 2019, Félix Tshisekedi promettait de faire de la presse et des médias congolais un quatrième pouvoir en RDC. Mais les grandes réformes attendues ont été repoussées et les avancées enregistrées demeurent très fragiles.
Tout s’est passé comme dans un rêve. Invraisemblable. Imaginez : vous exercez dans le secteur de la presse et des médias dans l’État subsaharien qui a enregistré le plus grand nombre d’exactions – plus d’une centaine – contre les journalistes en 2018. Mais, un beau jour, vous voyez débarquer le président de la République à la manifestation commémorative de la journée mondiale de la liberté de la presse. L’événement est diffusé en direct sur la chaîne publique. Et les propos volontaristes du chef de l’État ne sont empreints d’aucune ambiguïté : « J’ai promis d’être celui qui favorisera la liberté de la presse, qui consacrera la presse comme un véritable quatrième pouvoir » ; « la presse est un des moteurs essentiels de la venue de l’État de droit dans ce pays » ; « les médias restent un instrument essentiel dans la vie d’un État »…
C’est ce qui s’est passé ce 3 mai 2019 là à Kinshasa. Fraîchement proclamé vainqueur à l’issue d’un scrutin controversé, Félix Tshisekedi est convaincu par le professeur Kasongo Mwema Yamba Y’amba, son porte-parole, d’accepter l’invitation de l’Union nationale de la presse du Congo (UNPC) et de l’ONG Journaliste en danger (JED). Une première dans l’histoire du pays, mais surtout un signal fort pour le changement longtemps attendu par la presse et les médias congolais. Alors, adieu les menaces, les arrestations, les atteintes à l’intégrité physique des journalistes, les médias fermés ou saccagés, les coupures d’Internet ? En tout cas, « nous nous sommes mis à rêver d’une nouvelle ère », se souvient Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de JED. D’autant que cette volonté exprimée par Félix Tshisekedi de « [promouvoir] la presse et [les] médias pour en faire véritablement un quatrième pouvoir » figurait déjà dans le top 5 de ses priorités assignées au gouvernement lors de son discours d’investiture, le 24 janvier 2019.
Quelques légers changements
Une année et quatre mois plus tard, où en est-on ? Les vœux du chef de l’État se sont-ils matérialisés ? « L’avancée la plus remarquable, c’est déjà d’avoir un ministre [sectoriel] qui ne menace pas de fermer les médias en cas d’un son de cloche non favorable au pouvoir en place », relève Patient Ligodi, journaliste et patron du groupe Next Corp. Le ministre dont on parle se nomme David-Jolino Makelele Diwampovesa Ma-Muzingi. Il est cadre de l’Union pour la nation congolaise (UNC, de Vital Kamerhe). À son actif, l’on note également quelques légers changements de ton sur la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC). Sans se débarrasser complètement de sa posture de caisse de résonance du régime, cette chaîne publique ouvre peu à peu sa grille des programmes aux voix discordantes. « Pour le JT par exemple, le ministre exige le respect d’un quota de 25% du contenu éditorial pour chacune de quatre couches suivantes : pouvoir, opposition, société civile et faits divers », confie l’un de ses collaborateurs au Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Mais, à l’en croire, persistent encore « des réticences » de certains responsables de la RTNC. « Habitués à leur ancienne façon de faire, l’administrateur directeur général [Ernest Kabila, sans lien de famille avec l’ancien président, NDLR] et le directeur des informations TV [Guillaume Kuku Mamengi Pandji, revenu d’une suspension] ne partagent pas la philosophie du ministre : leurs rapports sont souvent tendus », nous explique-t-il, espérant que « l’éventuelle nomination de nouveaux mandataires changera cette donne ».
Qu’à cela ne tienne, depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, la RDC connaît une « véritable décrispation dans les relations entre les pouvoirs publics et les journalistes dans l’exercice de la liberté de la presse », estime David-Jolino Makelele. Celui qui est en charge de la communication et des médias au sein du gouvernement brandit d’ailleurs les quatre places gagnées en une année au classement mondial de la liberté de la presse, le pays étant passé du 154e au 150e rang. « Nous sommes en train effectivement de tourner la page de toutes ces années de prédation de la liberté de la presse que nous avons connues dans ce pays », écrit David-Jolino Makelele dans son message du 3 mai 2020. Pour le ministre, c’est donc une « performance ». Même si, en réalité, le pays demeure dans la zone rouge sur la carte de Reporters sans frontières (RSF) : la RDC est toujours classée parmi les États où la situation de la liberté de la presse est « difficile ». Car, pour la première année de l’ère « Fatshi », le pays a tout de même compté « au moins 85 cas d’atteintes diverses à la liberté de l’information et d’attaques contre les médias, contre 121 cas en 2018 », selon JED qui note « une diminution de 29,7 % ».
Des réformes qui se font attendre
« Mais la situation tend à se dégrader », alerte aujourd’hui Tshivis Tshivuadi. L’activiste pointe entre autres la récente tentative d’enlèvement de la journaliste Christine Tshibuyi à Kinshasa après avoir écrit un article accablant sur Jean Maweja, gouverneur du Kasaï Oriental, mais aussi une « cascade de convocations judiciaires » contre des journalistes qui ont rapporté l’affaire dite de « surfacturation des travaux de construction du bâtiment annexe de l’assemblée provinciale de Kinshasa ». Ce qui fait dire à Tshivis Tshivuadi que « l’accalmie » constatée depuis l’arrivée aux affaires de Félix Tshisekedi « ne repose sur rien de solide ». Pour que la presse et les médias congolais puissent jouer réellement leur rôle de quatrième pouvoir, « il faudrait permettre aux journalistes d’exercer avec un peu plus de sérénité, mettre fin à l’impunité des prédateurs, adopter un nouveau cadre légal de l’exercice de la liberté de la presse et assurer la viabilité économique des organes de presse », préconise-t-il. Mais, hélas, jusqu’ici, « rien n’a été fait dans ce sens », regrette Tshivis Tshivuadi.
« Rien n’est fait pour accompagner la presse », Patient Ligodi
Réputée très répressive et anachronique, la loi du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse, promulguée sous Mobutu et maintenue pendant la règne des Kabila père et fils, n’a toujours pas été révisée. De fait, aujourd’hui encore, en 2020, un journaliste congolais peut, « en temps de guerre », être poursuivi pour « trahison » et condamné à mort si son article est jugé susceptible de « [démoraliser] l’armée ou la population dans le but de nuire à la défense nationale ». Selon une source au sein du ministère de la Communication et Médias, « aucun acte contraire n’a été pris » non plus pour abroger l’arrêté ministériel du 12 novembre 2016 qui restreint les conditions dans lesquelles des médias étrangers peuvent exercent en RDC. Aussi, « rien n’est fait pour accompagner la presse, déplore Patient Ligodi. Il faut pourtant parvenir à bâtir des médias économiquement viables, éditorialement indépendants et utiles à la démocratie et au développement. Pour cela, il faut que l’État assure son rôle du gardien de la démocratie par le biais des aides à la presse bien encadrées par la législation et travailler sur un contexte permettant le développement d’une économie des médias propres ». Pour l’instant, « seuls quelques médias proches du pouvoir bénéficieraient des aides des pouvoirs publics », croit savoir un autre responsable d’un média en ligne, sans étendre sur le sujet.
À cette allure, cette alternance pacifique au sommet de l’État qui a permis de desserrer tant soit peu l’étau sur les journalistes congolais risque de gâcher finalement cette opportunité inouïe de constituer une presse et des médias libres et de qualité en RDC. Des réformes structurelles s’imposent donc. « Il faudra maintenant asseoir cette bonne volonté affichée [par Félix Tshisekedi] sur des socles plus durables : réviser la loi sur l’exercice de la liberté et le statut du journaliste professionnel, avancer sur la loi sur l’accès à l’information publique. Il y a aussi le chantier de la dépénalisation des infractions de presse (…). Il faut protéger l’industrie locale de l’information, arriver à équilibrer le marché de la publicité pour que tout ne soit pas accaparé par des géants comme Havas-Canalplus, StarTimes et d’autres réseaux étrangers », suggère Patient Ligodi.
« David-Jolino Makelele plaide pour l’organisation des états généraux de la presse », un collaborateur du ministre
Dans l’entourage du ministre David-Jolino Makelele, l’on semble en être bien conscient. « Il est vrai que les acteurs du secteur ont déjà procédé à l’étiologie des problèmes auxquels nos médias sont confrontés depuis des années, explique l’un d’entre eux. Mais, depuis, nous assistons à un foisonnement de médias en ligne et de ses nouvelles problématiques. C’est pourquoi [David-Jolino Makelele] plaide pour l’organisation des états généraux de la presse devant conduire à des réformes. » Autrement dit, pas de projet de loi modifiant la loi de 1996 sans états généraux de la presse par exemple ? « Il est toujours indiqué de prendre en compte tous les éléments : contexte politique, implications internes et externes, points de vue des acteurs, … », répond un autre conseiller. Aucune date n’a cependant été arrêtée pour ces états généraux de la presse. Les fonds qui seraient nécessaires à leur organisation ne sont pas disponibles. À la réticence de certaines corporations des journalistes, notamment une aile de l’UNPC, s’est en effet ajoutée la crise sanitaire et socio-économique du coronavirus parmi les obstacles à cette grand-messe attendue dans le secteur. Un secteur qui doit également être assaini tant il compte depuis des années des « moutons noirs », métaphore attribuée dans le milieu à des personnes qui se revendiquent journalistes sans l’être et sans aucun respect de la déontologie.
« C’est pourquoi le ministre appelle toujours à la responsabilité des journalistes congolais, tout en plaidant pour la tenue des états généraux de la presse, insiste un des proches de David-Jolino Makelele. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons ensemble faire un état des lieux, rectifier les tirs et, in fine, avoir un projet de révision de la loi de 1996 qui découleraient des discussions entre experts de médias. » Mais, du côté de JED, la désillusion gagne déjà les esprits. « Nous avons été naïfs de croire aux promesses des hommes politiques, se désole Tshivis Tshivuadi. Nous avons fini par nous rendre compte qu’un régime corrompu avec des dirigeants impliqués dans des scandales financiers n’a aucun intérêt à avoir des médias qui jouent réellement le rôle de quatrième pouvoir. » Fin de rêve ? Encore tôt pour le savoir. Comme dans plusieurs autres secteurs de la vie nationale, le nouveau pouvoir ne doit plus se contenter de gérer les urgences et les polémiques politiciennes. Au risque de décevoir définitivement les espoirs qu’il a suscités, il doit enfin impulser des réformes de fond.