Le retour de Moïse Katumbi en RDC, après trois ans d’exil, ne sera pas sans conséquence dans le jeu politique actuel. Loin s’en faut.
Après trois ans jour pour jour en exil, Moïse Katumbi est rentré, le 20 mai, à Lubumbashi. L’ancien gouverneur du Katanga (aujourd’hui morcelé en quatre provinces) avait quitté précipitamment cette même ville méridionale de la RDC pour aller suivre des « soins appropriés » à l’étranger. Il laissait alors derrière lui l’instruction du dossier relatif au recrutement présumé des mercenaires étrangers, dans lequel il venait d’être inculpé d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure du pays. Depuis l’opposant n’avait plus jamais foulé le sol congolais, malgré quelques tentatives avortées.
Mais depuis l’avènement de Félix Tshisekedi au pouvoir, les ennuis judiciaires de Moïse Katumbi disparaissent l’un après l’autre. Aujourd’hui, le retour au pays du leader d’Ensemble pour le changement et coordonnateur en exercice de la plateforme Lamuka marque certes un pas important dans la décrispation du climat politique en RDC, mais il pourrait également avoir une incidence sur l’organisation de l’opposition ainsi que sur les rapports des forces en présence.
Cristallisation de la décrispation politique ?
« Moïse Katumbi était devenu le symbole de l’arbitraire et de l’exclusion menée par l’ancien pouvoir. Son retour sonne ainsi le glas de cette politique et amorce une ouverture, car il était l’exilé emblématique », explique à GEC le député Delly Sesanga, secrétaire général d’Ensemble. « Si on n’a pu tolérer que Moïse revienne, tous les plus petits que lui peuvent être tolérés », ajoute-t-il.
Dans l’entourage du chef de l’État, l’on reconnaît d’ailleurs qu’obtenir le retour de celui qui était qualifié de Judas Iscariote par l’ancien président n’était pas chose aisée. Joseph Kabila s’y était opposé et il y aurait eu beaucoup de tractations pour que la volonté du nouveau président s’accomplisse et que son prédécesseur laisse faire. Un argument aurait alors pesé dans ces discussions : l’enjeu de l’alternance telle que consentie au sommet de l’État congolais voudrait que le président sortant reste vivre paisiblement en RDC et que ceux qui s’étaient opposés à lui retrouvent également leurs libertés de mouvement. Des prisonniers politiques et d’opinion ont ainsi été soit libérés soit graciés, des exilés autorisés à regagner le pays.
Mais un nouveau couac resurgit très rapidement lors des funérailles de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, père de l’actuel chef de l’État, dont le corps est arrivé à Kinshasa le jeudi 30 mai. Une cérémonie officielle d’hommages lui sera rendue dès ce vendredi 31 mai, en présence de quelques chefs d’État étrangers. Moïse Katumbi, lui, n’y prendra pas part. D’après nos informations, des sécurocrates de Félix Tshisekedi le lui ont prié pour ne pas faire de l’ombre et offusquer Joseph Kabila qui ne serait “pas encore disposé” à partager un même espace avec l’ancien gouverneur du Katanga. Ce dernier a dû même “se replier” de Lubumbashi vers l’Europe pour “ne pas se retrouver à moins des deux heures de vol” de la capitale. Moïse Katumbi ne présentera sans doute ses hommages au Sphinx de Limete – comme ses partisans l’avaient surnommé – qu’à l’issue de son “safari” à travers le pays dont le point de chute est Kinshasa.
Un autre bémol : Salomon Kalonda Idi Della, le bras droit et conseiller principal de Moïse Katumbi, lui, n’a pas pu rentrer en RDC. Une nouvelle affaire de passeport ou de (double) nationalité, selon le nouveau pouvoir, une « discrimination » dénoncent de leur côté ses proches. D’après des sources concordantes, son cas sera l’une des questions au menu de l’éventuelle rencontre entre son chef et le président de la République. Mais aucune date n’a, pour l’instant, été avancée.
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Statut de porte-parole de l’opposition
Lors des deux précédentes législatures (2006-2011 et 2011 – 2019), l’opposition et la majorité ne s’étaient en effet jamais mises d’accord pour mettre en application cette loi. Chaque camp accusait l’autre de créer des blocages. Aujourd’hui, la donne semble propice à sa mise en œuvre. Même si Martin Fayulu, officiellement arrivé deuxième de la présidentielle, continue à contester les résultats. Dans ces conditions, il ne pourra donc pas revendiquer le statut de porte-parole de l’opposition, car cela signifierait qu’il accepte la légitimité des institutions installées. Et d’ailleurs, s’il paraît dans l’imaginaire collectif congolais comme l’opposant numéro un à Félix Tshisekedi, il lui sera difficile de prétendre à ce poste, sans s’assurer du soutien de la majorité des parlementaires de l’opposition. Car, aux yeux de la loi, « sans qu’il ne soit nécessairement parlementaire, le porte-parole de l’opposition politique est désigné par consensus, à défaut, par vote au scrutin majoritaire à deux tours, dans le mois qui suit l’investiture du gouvernement, par les députés nationaux et les sénateurs, membres de l’opposition politique (…) ».
Encore faut-il que les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat – qui sera vraisemblablement aussi dominé par le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila -, acceptent de faciliter les réunions de l’opposition destinées à élire son porte-parole, conformément à la législation en matière. C’est encore loin d’être acquis. Étant attendu que le processus pourrait octroyer le rang de ministre d’État (avec « avantages et immunités y afférents ») à … Moïse Katumbi.
Transformation (délicate) d’Ensemble en parti politique
Autre chantier tout aussi délicat pour Moïse Katumbi : transformer sans accroc son regroupement politique Ensemble en un grand parti politique. Le projet est sur la table depuis quelques semaines. Ses défenseurs, à la tête desquels l’on retrouve entre autres Salomon Kalonda Idi Della, soutiennent la nécessité pour leur leader de se constituer un grand parti avec une idéologie. En référence notamment à ce qu’a été l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi ou encore le Parti lumumbiste unifié (Palu) d’Antoine Gizenga.
Pour l’instant, « l’idée germe et des contacts sont en cours », confie un partisan du projet. « Il y aura de la place pour tout le monde : à la fois pour ceux d’Ensemble qui acceptent de nous rejoindre et pour ceux qui préféreront rester des alliés. Mais, à ce stade, on ne peut pas nous empêcher d’y réfléchir », poursuit-il. D’autant que la question ne fait pas l’unanimité au sein d’Ensemble. D’autres cadres, à l’instar de son secrétaire général Delly Sesanga et du député Claudel André Lubaya, ont déjà indiqué qu’ils ne sont « pas partants » pour une aventure de mutation d’Ensemble en parti politique. Les deux hommes s’étaient déjà opposés au choix de Moïse Katumbi de soutenir Martin Fayulu à la présidentielle, en appelant à voter pour Félix Tshisekedi, évitant ainsi de se mettre à dos un électorat réputé acquis à l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti de Félix Tshisekedi, au Kasaï-Central où ils étaient présentés aux législatives.
Aujourd’hui, ils ne voient « aucun gain politique » dans le schéma proposé de transformer Ensemble en grand parti politique. « On y gagne rien, à part la verticalité de l’organisation. Pourtant, on ne peut verticaliser qu’un projet qui est totalement intégré à la fois sur des valeurs, des options et des axes idéologiques. Nous, nous avions fait un choix politique circonstancié par rapport à un combat, celui de faire partir Joseph Kabila, de trouver un candidat commun et de mettre en place une mécanique. Celle-ci ne peut fonctionner qu’avec les mêmes principes. D’autant que la segmentation de l’appareil politique en plusieurs formations, qui s’agrègent dans le cadre du regroupement, est adaptée à la fois à sociologie électorale de notre pays, mais aussi à la loi électorale », argumente Delly Sesanga, qui promet toutefois de rester loyal à Moïse Katumbi.
Le leader de Ensemble devra sans doute lever rapidement l’option définitive pour rassurer les uns et les autres. Car il aura besoin de sérénité dans son organisation politique dans cet autre combat qui s’annonce en vue d’un repositionnement politique et de la reconquête du Katanga, son fief électoral. Partie du pays qu’il a dirigée durant plus de huit ans.