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National Politics
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Quelle opposition face à Félix Tshisekedi ?

En face d’une coalition Félix Tshisekedi – Joseph Kabila, l’opposition peine de plus en plus à parler le même langage. Comment se porte-t-elle ?


Malgré le tumulte, le mariage tient encore. Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, à travers leurs plateformes politiques respectives, demeurent en alliance. Les deux hommes se sont d’ailleurs revus le soir du samedi 2 novembre à la résidence présidentielle de la N’Sele, dans la banlieue de Kinshasa. Le président congolais et son prédécesseur se sont efforcés d’« aplanir certains différends » opposant leurs lieutenants, nous souffle un collaborateur du chef de l’État. Objectif : éviter l’explosion de la coalition Cap pour le changement (Cach) – Front commun pour le Congo (FCC). Peu importe si c’est le second qui garde l’ascendant sur le premier, bien entendu.

Mais les choses paraissent moins nettes du côté de l’opposition. Dix mois après les résultats controversés de la présidentielle du 30 décembre 2018, la coalition Lamuka (réveille-toi, en lingala) vit désormais ses derniers jours. En tout cas, c’est l’impression que l’on se fait après des échanges avec des proches de ses trois principaux leaders restants, Jean-Pierre Bemba, Martin Fayulu et Moïse Katumbi. Ce qui risque non seulement d’affaiblir davantage une opposition déjà fragilisée par des résultats des élections (le FCC s’était arrogée une majorité écrasante au Parlement).

Une opposition de nouveau dispersée et plurielle

« Nous nous acheminons vraisemblablement vers la fin de Lamuka », concède ainsi un député national de la Dynamique de l’opposition, regroupement politique de Martin Fayulu. Dans l’entourage de ce dernier, certains se montrent beaucoup plus nuancés. C’est le cas d’Adolphe Muzito. Contacté par le Groupe d’étude sur le Congo (GEC), l’ancien Premier ministre rappelle que Lamuka était, avant tout, « une organisation politique constituée dans le cadre des élections ». Et qu’aujourd’hui, « en ce qui nous concerne, nous continuons la lutte avec le peuple », ajoute le patron du Nouvel élan qui plaide également pour des « élections anticipées ».

En clair, le camp de Martin Fayulu n’entend toujours pas s’inscrire dans la logique d’une quelconque opposition à Félix Tshisekedi parce qu’il ne lui reconnaît pas la qualité de président de la République. « Dans un régime démocratique, il existe une minorité qui a perdu les élections et le reconnaît et une majorité qui a remporté les scrutins et qui gouverne. C’est à partir de ce moment-là que l’opposition accepte de jouer le jeu. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé en République démocratique du Congo. Alors, nous faisons la résistance parce que nous nous considérons comme la majorité qui a été abusée », argue Adolphe Muzito.

Le mot est lâché : « Résistance. » C’est en réalité là la première ligne de démarcation entre Martin Fayulu et Moïse Katumbi qui, lui, prône une « opposition républicaine ». « Nous ne sommes certes pas dans une démocratie. Les résultats des élections ont été biaisés, tout le monde le sait. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’alternative. Nous devons nous mouvoir dans le cadre qui existe et reconstruire une opposition exigeante face au pouvoir en place. Il ne s’agira donc pas d’une opposition qui sera là seulement pour accompagner le pouvoir », nous explique Olivier Kamitatu, porte-parole et directeur de cabinet de Moïse Katumbi. Autour de l’ancien gouverneur du Katanga, des voix, nombreuses, s’élèvent également pour pousser à la disparition de Lamuka. Cette plateforme électorale n’aurait plus des raisons d’exister, soutiennent-elles. A la place, l’idée de créer un « grand parti » de Moïse Katumbi tend à se matérialiser.

Du côté de Jean-Pierre Bemba, personne ne défend non plus mordicus le maintien de Lamuka. « Comme tout corps social, la plateforme Lamuka est née un jour, a grandi et peut mourir », estime un très proche collaborateur du leader du Mouvement de libération du Congo (MLC). Mais ce haut-cadre du MLC s’interroge sur le timing : est-ce le moment de faire disparaître Lamuka ? « C’est encore tôt ! Je ne comprends pas pourquoi les camarades [de Lamuka] s’agitent déjà », regrette-t-il. A l’en croire, quoi qu’il arrive, le MLC ne compte pas non plus s’effacer derrière un autre regroupement politique de l’opposition. Mais, pour l’instant, le parti de Jean-Pierre Bemba se garde de donner sa position. « Nous n’allons pas nous prononcer en réaction à ce que font les autres », affirme notre interlocuteur.

Une opposition fragilisée en quête de leader

En filigrane transparaît alors une certaine volonté de part et d’autre de marquer clairement la différence. Mieux, d’essayer reprendre chacun son autonomie, voire le leadership de l’opposition. Au fait, aujourd’hui, qui est le vrai chef de file de l’opposition congolaise et que vaut-il ? Il faut remonter le temps pour tenter de répondre à la question. Novembre 2018, à Genève. Sous la facilitation de la fondation Kofi Annan, sept poids lourds de l’opposition jettent leur dévolu sur Martin Fayulu pour être le candidat commun de l’opposition face au dauphin de Joseph Kabila, alors président sortant. Mais, pour certains, c’est un « choix par défaut », ne pouvant pas se présenter eux-mêmes. Il en est ainsi du populaire et riche homme d’affaires Moïse Katumbi et de l’ancien vice-président de la République Jean-Pierre Bemba, pourtant deux prétendants sérieux à la présidentielle. Le premier se trouvait contraint à l’exil alors que le second avait été disqualifié de la course par la Cour constitutionnelle. Tous les deux, mais aussi Adolphe Muzito et l’ancien ministre des Finances Freddy Matungulu, soutiennent donc Martin Fayulu à l’issue d’un processus de vote.

Le départ précipité de la coalition de Vital Kamerhe et de Félix Tshisekedi n’arrêtent pas cette dynamique. Au contraire. Présenté comme le « candidat du changement », Martin Fayulu draine les foules partout où il passe durant la campagne. « Ils ont fabriqué un monstre politique qu’ils vont devoir tuer plus tard », me confiera en ce moment-là un journaliste à Kinshasa. Allusion à l’étoffe que n’a cessé de prendre Martin Fayulu. Visiblement, l’heure de « tuer » ce « monstre » a sonné. Mais, naturellement, il ne se laissera pas faire. Martin Fayulu tient à préserver sa nouvelle aura, son statut de numéro un de l’opposition. « Aujourd’hui, quel que soit le bord politique, aucun acteur ne peut prétendre approcher la popularité de Martin Fayulu », assure l’un de ses proches.

Sans le dire, Moïse Katumbi a repris son « safari » dans l’est du pays notamment pour démontrer le contraire. Et il ne s’en cache plus : il se positionne pour être le « porte-parole de l’opposition ». Sur le plan comptable, rien ne peut l’en empêcher. Au sein de l’hémicycle, les deux groupes parlementaires d’obédience katumbiste, le MS/G7 et l’AMK et alliés, revendiquent respectivement au moins 39 et 30 députés contre les quelque 29 députés appartenant au groupe parlementaire MLC-ADN. Ce dernier regroupe les élus du parti de Jean-Pierre Bemba, ceux de l’Arc-en-ciel de Jean-Philibert Mabaya, ceux de la Dynamique de Martin Fayulu ainsi que ceux du Nouvel élan d’Adolphe Muzito. L’écart se creuse d’un cran dans la chambre haute du Parlement où le « groupe politique » d’Ensemble pour le changement de Moïse Katumbi compte sept sénateurs contre six pour celui du MLC-ADN. « En additionnant, nous avons 76 parlementaires contre une trentaine pour Jean-Pierre Bemba, Jean-Philibert Mabaya et Martin Fayulu », résume le député Christophe Lutundula. « Dans ces conditions, Martin Fayulu sait qu’il n’a aucune chance [d’être désigné porte-parole de l’opposition] », renchérit ce cadre d’Ensemble. Si l’on croit sa « proposition de sortie de crise », relayée de nouveau le mardi 5 novembre sur les réseaux sociaux, Martin Fayulu, lui, semble plutôt intéressé à prendre la direction d’une structure qui serait en charge des réformes institutionnelles.

Joseph Kabila dans le rôle de facilitateur

Le chemin semble presque tout tracé pour faire de Moïse Katumbi le représentant de l’opposition en RDC. Au sens de la loi de 2007 portant statut de l’opposition politique en effet, « sans qu’il ne soit nécessairement parlementaire, le porte-parole de l’opposition politique est désigné par consensus, à défaut, par vote au scrutin majoritaire à deux tours (…) par les députés nationaux et les sénateurs, membres de l’opposition ». Mais cette disposition légale ajoute que cela doit se faire « dans le mois qui suit l’investiture du gouvernement ». Or, l’équipe gouvernementale conduite par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a été investi le 6 septembre. Deux mois plus tard, il n’y a toujours pas de « porte-parole de l’opposition ». D’ailleurs, depuis 2007, ce poste n’a jamais été pourvu. Dans le passé, les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient accusés d’avoir bloqué ce processus, s’abstenant de convoquer des réunions des parlementaires pour désigner le porte-parole de l’opposition, conformément à la loi qui leur accorde un rôle de « facilitation ». Pour le pouvoir, il était alors hors de question de prendre en charge financièrement un opposant.

En sera-t-il de même pour cette législature ? Derrière cette question, une équation politique : l’ancien président Joseph Kabila va-t-il laisser faire ? Une réponse affirmative hisserait son ennemi juré de ces dernières années au rang de ministre d’Etat grâce à ce statut de porte-parole de l’opposition. Un statut qui reste toutefois lié au fonctionnement du Parlement : si l’Assemblée nationale et le Sénat ne remplissent pas leur rôle de contrôle de l’action du gouvernement, le poste de porte-parole de l’opposition ne sera qu’apparent dans les médias, sans impact réel sur la vie politique. Dans tous les cas, « les expériences de 2006 et de 2011 peuvent nous édifier : Joseph Kabila n’a jamais respecté cette disposition légale. Il ne le fera pas non plus cette fois, sauf s’il est convaincu que la personne désignée est compatible avec son pouvoir », prédit Adolphe Muzito. Mais, quel qu’en soit l’issue, l’ancien Premier ministre insiste pour que les « sensibilités différentes » de Lamuka soient perçues comme des « faits complémentaires ». « Tous, nous devons continuer à lutter contre les anti-valeurs », préconise-t-il.

Mais, il n’est pas question d’accepter la main tendue du camp katumbiste qui s’apprêterait à proposer des « aménagements » dans le règlement d’ordre intérieur de l’opposition politique. Parmi les pistes évoquées : la mise en place d’une sorte de « présidium » au-dessus du porte-parole de l’opposition. Et de coller à ce statut un mandat de deux ans rotatifs. Il serait même question de « créer d’autres postes pour que chacun [les principaux leaders de Lamuka] puisse trouver un espace d’influence » dans l’organisation de l’opposition politique.

Malgré l’absence de consensus sur le dossier et, surtout, pour ne pas dépasser le délai légal d’un mois après l’investiture du gouvernement, les parlementaires du MS-G7 ont adressé une lettre, le 1e octobre, aux présidents des bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Dans cette correspondance, ils sollicitent officiellement leur « facilitation » dans le cadre des réunions des députés et sénateurs de l’opposition en vue de la désignation du porte-parole de l’opposition. Pour l’instant, rien n’y fait. D’aucuns craignent déjà que la majorité pro-kabila n’utilise les dissensions au sein de Lamuka pour faire traîner indéfiniment la désignation de ce porte-parole de l’opposition. Comme souvent, dans l’histoire politique récente de la RDC, la balle se trouve dans le camp Kabila.

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