Toujours difficile de dire, au regard des signaux émis par différents acteurs de la vie politique, si la RD Congo s’achemine vers la décrispation politique souhaitée par tous pour baliser la voie du dialogue. Alors que l’opposition campe toujours, globalement, sur les conditions de sa récusation du facilitateur, Léonard She Okitundu, au nom de la majorité, a semblé ouvrir, jeudi 11 août, au siège de la CENCO où se sont succédé plusieurs acteurs politiques appelés en consultation par les évêques congolais, une fenêtre en évoquant la grâce pour certains détenus figurant sur la liste dressée par l’opposition en appui de ses préalables. Une appellation contradictoire lorsqu’on sait que la grâce n’est généralement promise qu’à des condamnés, alors que, dans le cas d’espèce, la plupart des détenus politiques et d’opinion ne sont pas frappés de condamnation.
La sortie tentée par She Okitundu se voulait néanmoins une ouverture sur la voie de la décrispation, si tant est que sa déclaration serait lue de la même manière de l’autre côté de l’échiquier politique. D’autant que, le même jour, d’autres acteurs se sont chargés de distiller le doute dans les esprits. Au nom de la majorité, son porte-parole André Atundu Liongo s’est adressé en des termes très durs à ce qu’il a qualifié de frange radicalisée de l’opposition, lui reprochant de s’inscrire résolument dans un schéma insurrectionnel en voulant empêcher le chef de l’Etat, au nom de l’article 64 de la constitution, d’exercer ses prérogatives constitutionnelles.
La meilleure défense c’est l’attaque, dit-on. Fuite en avant ou pas, Atundu Liongo a visiblement anticipé les événements qui pourraient être liés, à l’avenir, au recours par l’opposition à l’article 64 de la constitution. Cet article stipule que «Tout congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente constitution. Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’Etat. Elle est punie conformément à la foi.»
Sans qu’il y ait un lien direct de cause à effet, le même jour, l’opposition par le biais du G7 portait une grave accusation à l’encontre du chef de l’Etat et de la commission électorale nationale indépendante. « Selon la volonté du président Kabila et de sa CENI, le calendrier électoral ne sortira pas avant le mois de septembre 2017. Pour n’avoir pas veillé à la tenue de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel et, de surcroit, pour avoir entravé en parfaite connaissance de cause cette élection, Joseph Kabila aura commis un parjure et violé intentionnellement la constitution de la République », a lourdement chargé le G7, confirmant du coup la nouvelle tendance au sein de l’opposition. Une tendance qui devrait marquer, à terme, une stratégie à double détente reposant, d’une part, sur l’accusation de haute trahison contre Joseph Kabila et, de l’autre, sur la montée de la contestation populaire de la légitimité du président de la république à partir du 20 décembre 2016.
Le scénario de la radicalisation serait donc en train de se mettre progressivement en place. La flambée actuelle des violences dans l’est, dont pourraient paradoxalement se servir l’Ouganda et le Rwanda pour revenir de plein pied sur le théâtre congolais, avec tout le risque d’encourager le schéma de l’état d’urgence, viendrait malheureusement confirmer l’absence d’une dynamique régionale de sortie de crise ou, en revanche, l’existence d’une dynamique régionale dont l’objectif serait plutôt de nourrir le pourrissement afin d’éviter le réveil d’un géant, dont le leadership naturel pourrait porter ombrage à certaines puissances régionales. Une hypothèse d’autant plus plausible que le manque d’humilité d’Edem Kodjo – qui n’hésite pas à insinuer publiquement qu’il entende se maintenir envers et contre tous – est plutôt de nature à rigidifier les positions au sein de l’opposition et bloquer définitivement une facilitation dont les défaillances sont paradoxalement soulignées par la montée en puissance parallèle du groupe de soutien mais surtout du président Denis Sassou Nguesso, l’énigmatique voisin de l’ouest, auquel les Rd Congolais souhaitent naturellement tout le bien du monde, sauf qu’il leur serve de modèle.
A analyser froidement l’évolution récente des événements sur le plan régional, il apparaît dans tous les cas que nonobstant les gesticulations de Denis Sassou Nguesso, quatre pays pourraient au stade actuel jouer un rôle déterminant dans la vaste partie d’échecs qui se déroule sous nos yeux. Au-delà des questions sécuritaires qui pourraient servir de prétexte à leur entrée en lice, l’Ouganda et le Rwanda, depuis une vingtaine d’années, jouent en effet leur propre partition sur la scène congolaise par groupes armés interposés. Qu’ils marchent à visage ouvert ou masqué, les récentes visites du chef de l’Etat congolais ont confirmé que ces deux pays ont gardé une influence non négligeable sur les événements en RDC. En l’espèce, il s’agit de les convaincre que le véritable intérêt de leurs peuples consiste à privilégier, sur le long terme, la paix, la bonne entente et le co-développement en lieu et place des rapports de domination et de conflictualité.
Dans le même ordre d’idées, deux autres groupes d’acteurs devraient davantage être poussés à se positionner clairement. Il y a d’abord lieu de rassurer l’Angola et l’Afrique du sud – qui tiennent à sauvegarder leurs positions dans le pétrole, les minings tout comme sur l’électricité du barrage d’Inga – que ces intérêts ne seront pas remis en cause dans les évolutions qui se dessinent en RD Congo. Mais il y a aussi et surtout urgence à convaincre l’Europe occidentale, restée très en retrait par rapport à l’Amérique par exemple – et dont le flottement de la diplomatie et les divisions sur la base d’intérêts mesquins déboussolent de plus en plus les Congolais – que le meilleur rempart contre la migration clandestine et la poussée du djihadisme, reste encore et toujours la démocratie, le développement, la lutte contre la pauvreté et la corruption des élites.