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Politique nationale
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Premier ministre en RDC : les raisons implicites d’un blocage

La nomination du Premier ministre ne saurait plus tarder, si l’on croit l’entourage du président de la République. L’occasion de revenir sur les raisons implicites de cette attente qui tient la RDC en haleine depuis près de quatre mois.


L’Histoire retiendra qu’ils auront mis plus de 100 jours sans s’entendre. Félix Tshisekedi et Joseph Kabila se sont pourtant vus et revus. Devant ou hors-caméras, en tête-à-tête ou en présence de leurs collaborateurs respectifs les plus proches. Mais le nouveau président congolais et son prédécesseur n’ont pas pu se mettre d’accord sur le nom du futur Premier ministre avant cette échéance symbolique.

Rappelons que, dans un passé récent, Joseph Kabila, alors confirmé président élu à l’issue du second tour par la Cour suprême le 27 novembre 2006, avait pris exactement 33 jours pour nommer son allié Antoine Gizenga chef du gouvernement. Mais pour entamer son second quinquennat, après une élection à un tour controversée fin 2011, il lui faudra tout de même 145 jours pour désigner son nouveau Premier ministre début mai 2012, après un intérim de deux mois de Louis Koyagialo.

Aujourd’hui, le contexte politique est tout autre. Le pays a connu une apparente alternance au sommet de l’État depuis l’investiture, le 24 janvier, de Félix Tshisekedi. Mais l’ancien président a accentué sa mainmise sur le Parlement et les assemblées provinciales, contraignant son successeur à composer avec lui pour gouverner. En discutant avec l’entourage de ces deux protagonistes, il en résulte que cette situation a en réalité créé une nouvelle donne à triple dimension qui a compliqué les tractations.

1. La fin du président tout puissant

Depuis fin janvier, Félix Tshisekedi exerce bien les fonctions de président de la République. Mais, à la différence de Joseph Kabila, il ne dispose pas des mêmes libertés d’action dans la gestion de la chose publique. « Omnipotent au sein de sa famille politique et seul patron, Joseph Kabila pouvait se réveiller un matin et décider qu’un général quittait son poste et un autre le remplaçait. Le gouvernement était parfois informé a posteriori. Personne ne pouvait s’opposer à sa volonté », rappelle, « caricaturant un tout petit peu », un proche collaborateur de l’ex-président. « Il en était ainsi dans tous les secteurs de la vie nationale », ajoute notre interlocuteur.

C’était l’époque du président tout puissant. Elle est désormais révolue. Dépourvue de majorité parlementaire propre, le nouveau président, lui, se confronte à une toute autre réalité. Pour nommer, relever de leurs fonctions et, le cas échéant, révoquer les ambassadeurs et autres envoyés extraordinaires, les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale, le chef d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des forces armées, les hauts fonctionnaires de l’administration publique, les responsables des services et établissements publics ainsi que les mandataires de l’État dans les entreprises et organismes publics, Félix Tshisekedi devra se conformer aux prescrits contraignants des dispositions constitutionnelles en la matière, spécialement l’article 81 de la Loi fondamentale.

Autrement dit, c’est exclusivement « sur proposition du gouvernement délibérée en conseil des ministres » qu’il pourra procéder à des nominations ou révocations dans l’une ou l’autre des catégories reprises ci-dessus. Et concernant les officiers, le Conseil supérieur de la défense devra être entendu en amont. Dernière contrainte : toutes ces ordonnances devront être contresignées par le Premier ministre. Et pour compliquer davantage l’équation de Félix Tshisekedi, le Front commun pour le Congo (FCC), plateforme de Joseph Kabila, devenu subitement légaliste, tient à faire respecter toutes ces dispositions. « Tous les moyens de contrôle seront permis », a prévenu récemment sur RFI Jeanine Mabunda, fraîchement désignée président de l’Assemblée nationale, n’excluant pas l’hypothèse d’une mise en accusation du président de la République par le Congrès, conformément à la Constitution.

« C’est en connaissance de toutes ces contraintes que les discussions se tiennent entre l’ancien et le nouveau présidents. Il est donc normal que les choses traînent parce que chaque camp tente de protéger ses arrières : Félix Tshisekedi a besoin d’un Premier ministre et d’un gouvernement qui ne lui seront pas hostiles », confie un conseiller du chef de l’État. En clair, le président tentait d’arracher quelques garanties de la part de son coalisé pour ne pas très vite se retrouver devant des blocages dans l’exercice de son pouvoir. Mais Joseph Kabila s’est longtemps contenté de lui affirmer que toutes les prérogatives du chef de l’État seront respectées, conformément à la Constitution. Ce qui laisse transparaître sa détermination à encadrer le pouvoir de Félix Tshisekedi.

2. La gestion anticipée des frustrations

Alors qui sera ce Premier ministre ? La chasse de l’oiseau rare a déjà pris trop de temps. Des noms d’éventuels Premiers ministrables ont pourtant circulé et continuent à circuler. On a d’abord parlé d’Albert Yuma, le patron des patrons congolais et président du conseil d’administration de la Gécamines. Puis, c’était au tour de Henri Yav, ancien directeur de cabinet adjoint de l’ex-président et actuel ministre des Finances. Dans le premier cas, Félix Tshisekedi a refusé sur les recommandations de ses partenaires américains, nous répètent plusieurs sources concordantes proches du dossier. Mais dans le deuxième cas, ce sont des caciques du FCC qui accusent Henri Yav de « rouler » pour Tshisekedi tant des proches de ce dernier auraient plaidé sa cause.

Après ces deux noms, l’on a cité Jean Mbuyu, ancien conseiller spécial de l’ex-président mais aussi réputé proche de Félix Tshisekedi. Finalement, c’est Sylvestre Ilunga Ilunkamba qui revient sur toutes les lèvres ces dernières heures. Mulubakat comme la plupart des nominés, le directeur général de la Société nationale de chemin de fer du Congo (SNCC) est présenté comme celui qui peut protéger les intérêts des deux parties. « Il n’est pas conflictuel et il est pro-coalition FCC et Cach (Cap pour le changement), la plateforme de Félix Tshisekedi », soutient un cadre de la majorité. Au FCC, on dit également de lui qu’il est « ami de Me Norbert Nkulu [ancien conseiller de Kabila, aujourd’hui membre de la Cour constitutionnelle]  et a travaillé avec Jeanine Mabunda, alors ministre du Portefeuille, en tant que responsable du Comité de pilotage et de réforme des entreprises du portefeuille de l’État (Copirep) ».

Dans tous les cas, peu importe le Premier ministre qui sera nommé, tout le monde ne sera pas satisfait. Surtout au sein des états-majors des partis et regroupements du FCC. Parce que le choix portera forcément sur une personnalité réputée proche, ou pas, d’une ou d’une autre composante. Et ces frustrations paraîtront encore au grand jour lorsque le nouveau gouvernement sera mis en place. D’après nos informations, des leaders du FCC ont déjà déposé leurs desiderata à Joseph Kabila et chacun espère que ce dernier trouvera le bon équilibre dans la répartition des postes ministériels.

Mais le fait d’avoir acté la coalition avec le Cach n’arrange pas les choses. Bien au contraire. Le Cach voudrait en effet que le nombre de députés nationaux élus ne soit plus retenu comme le critère principal lors du partage des responsabilités au sein des institutions. Pour cette plateforme, tout doit désormais se négocier dans le cadre de l’accord politique entre les deux parties. Ce qui est loin d’être du goût de principaux partis et regroupements du FCC. La question : Kabila accèdera-t-il à cette requête au risque d’exploser, à moyen ou long terme, sa plateforme politique ?

3. Les intrigues

Dans ce partenariat d’intérêts, le FCC et le Cach ne dévoilent pas l’intégralité de leur agenda. Chaque partie cache son jeu et agite, quand l’occasion s’y prête, la menace de reprendre seule les commandes. Comme nous l’avons rappelé ci-haut, le premier, fort de sa majorité écrasante à l’Assemblée nationale et au Sénat, dispose des moyens de pression énormes sur le président de la République. Sans compter la mainmise persistante de son chef sur l’appareil sécuritaire du pays.

De son côté, le second est loin de s’avouer vaincu. Dès les premières semaines de son arrivée au pouvoir, son leader, devenu depuis président de la République, a multiplié des sorties dans la région mais aussi aux États-Unis pour se chercher des alliés. Le chef de l’État détient également une armée contre ses nouveaux alliés super puissants : les législatives anticipées. Mais impossible de l’utiliser si tôt. « Aucune dissolution [de l’Assemblée nationale] ne peut intervenir dans l’année qui suit les élections (…) », lui rappelle l’article 148 de la Constitution. Ironie du sort : le FCC y veille. Drôle d’alliance.

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