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Politique nationale
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Gombe, si loin… et pourtant si proche


La chic commune de la Gombe, que Luc Hallade, ancien ambassadeur de France en RDC avait qualifiée de “république de la Gombe »  serait-elle en réalité une île isolée dans l’imposante mégapole de Kinshasa? Isolée mais aussi déconnectée du reste du pays, le siège des institutions de la république et de la petite bourgeoisie Kinoise a-t-elle besoin d’un vent intégrateur? —

Fred bauma

Bref récit de notre dernier voyage à Kinshasa.

Lorsqu’on arrive finalement sur l’imposant boulevard du 30 juin au bout de trois longues heures de route depuis l’aéroport de Ndjili, on se croirait avoir changé de ville. Ici, n’eut-été le vacarme des taxis jaunes, des vieux bus « esprits de mort » et l’odeur pestilentielle que dégagent des caniveaux, Kinshasa (ou du moins la commune de la Gombe) porterait encore bien son ancienne appellation de « Kin la belle ». Des nouveaux bâtiments par-ci et par-là, en plus des nouveaux restaurants et bars bondés de monde et qui n’ont rien à envier à Paris, Bruxelles ou Londres. Un dîner tout simple vaut facilement plus cher que le salaire moyen du fonctionnaire de l’État congolais. Gombe se porte bien, la crise n’y est pas passée. De Rotana à Sultani en passant par le K-Lounge, Kayser ou encore 113, la bourgeoisie kinoise et l’élite politique se rencontrent et se mélangent. Qui figurera dans le prochain gouvernement, comment Félix – c’est ainsi qu’on appelle le nouveau président – réussira-t-il à imposer son pouvoir ? lesquels  de Kabila ou de Tshisekedi a réellement le pouvoir ? Et ces sauts-de-mouton en construction qui ralentissent la circulation! Les sujets de discussion ne manquent pas.

Boulevard de 30 Juin, Kinshasa (Photo: Nicolas-Patience Basabose)

Ce jour de juillet, le Sénat récemment installé se prépare à choisir son bureau, deux hommes issus de la coalition de Joseph Kabila, le Front Commun pour le Congo (FCC), se disputent le perchoir : Bahati Lukwebo, économiste et dirigeant du parti politique Alliance des Forces Démocratiques du Congo (AFDC), et l’influent dernier ministre de la justice de Kabila, Thambwe Mwamba. L’enjeu est de taille. Le président du Sénat sera d’office le dauphin constitutionnel du président de la république. Dans les salons politiques à Kinshasa, le sujet est sur toutes les lèvres, entre ceux qui soupçonnent Tshisekedi de soutenir Bahati et ceux qui rêvent de l’éclatement du FCC, des rumeurs, comme on en trouve partout à Kin, vont bon train. Joseph Kabila, devenu sénateur à vie, va-t-il participer au vote et se rassurer de la fidélité de ses partisans ? “Il n’est pas prudent de déplacer le chef, cela peut mal tourner » répond un cadre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) qui partage notre table à la Pâtisserie Nouvelle, un de ces endroits bon chic bon genre de Kinshasa. La tension est à son comble. Les intrigues politiques ne laissent aucune place aux autres sujets pourtant plus importants pour les millions de Congolais en attente des solutions à leur multiples problèmes. Pendant ce temps, les Congolais en attente d’un gouvernement depuis plus de sept mois s’impatientent et s’inquiètent de la gestion jusque là peu orthodoxe de la nouvelle administration. Des contrats de gré à gré signés avec des entreprises nouvellement créées au rapport sur le dépassement budgétaire à la présidence de la république, ou encore le déficit d’une stratégie complète pour résoudre la crise sécuritaire à l’est et au centre en dehors des promesses toujours nombreuses du président. Le manque d’un gouvernement fonctionnel se fait sentir. 

À quelques milliers de kilomètres de Kinshasa, la tension est également à son comble. Cette fois, la préoccupation n’est pas la formation du gouvernement, ni les animateurs des institutions mais plutôt les vies fauchées, une population affamée, les fonctionnaires en grève. Parfois, des images dignes des films d’horreur pullulent les réseaux sociaux. À Bunia, loin des passionnants débats des prestigieux salons de la Gombe, une foule en colère se déchaîne dans les rues après les dernières tueries, tenant en main une tête, celle d’une jeune fille décapitée. À Beni, Mangina ou Oicha à quelques kilomètres vers le sud, les habitants ne savent quoi craindre le plus : la maladie à virus Ebola qui a déjà fait plus de 1866 victimes depuis plus d’un an ou les mystérieux tueurs à la machette qui terrorisent la population depuis cinq ans ? Les promesses du nouveau président de déplacer son quartier général dans la région, de remplacer des unités militaires ou plus généralement de pacifier le pays, tardent à se concrétiser. À Kinshasa, on préfère relativiser : réagissant sur une radio étrangère sur les massacres à Bunia, le ministre de l’intérieur n’hésite pas de dénoncer un “montage ». Gombe est très loin, on le ressent si bien ! Pour certains, on s’y sent si bien.

Wewa à Kinshasa (Photo: Nicolas-Patience Basabosa)

Dans les quartiers avoisinants la Gombe, la situation n’est pas plus reluisante. Le Kinois lambda vit toujours au taux du jour. Et les quelques projets d’infrastructures lancés dans le cadre du programme des 100 jours de Tshisekedi n’y changent presque rien. Plus on s’éloigne de la Gombe – ou plutôt du boulevard du 30 juin-, plus la misère se fait présente. Kin baigne dans son habituel chaos et semble perdre pied sous le poids des immondices. Les médecins menacent d’entrer en grève, et avec eux des nombreux fonctionnaires impayés. Mais le Kinois, toujours plus créatif, ne désespère pas. Le wewa (taxi moto) qui me ramène ce soir-là de Limete sur un boulevard Lumumba sombre (par manque d’entretien des réverbères, une des priorités des 100 jours du président Tshisekedi) ne cache plus son impatience : l’alternance tant vantée n’a pas encore eu d’effet sur son quotidien. L’écart entre les attentes et la réalité se creuse chaque jour d’avantage. Pour cette population, la recherche des moyens alternatifs par elle-même semble être une réelle option. Qu’en est-il, ils se demandent, de toutes ces promesses liées à l’alternance ?  À Matonge, quartier chaud de Kinshasa, des jeunes artistes essayent à leur manière de sensibiliser contre l’usage des déchets plastiques et espèrent du nouveau gouvernement une meilleure prise en charge aussi bien de cette question que des multiples autres. ceux d’ailleurs. À Beni, lassés d’attendre une réaction appropriée de la part du gouvernement, les jeunes étudiants menacent de prendre les armes et de traquer les rebelles ougandais de l’Alliance des Forces Démocratiques (ADF) souvent accusés d’être à la base des tueries dans la région. 

Auprès d’une partie de la société civile et dans quelques chancelleries, on perçoit mieux cette grogne sociale grandissante que l’élite politique kinoise s’efforce d’ignorer, le temps du partage d’un gâteau trop petit pour satisfaire à tout le monde. Même les plus proches soutiens diplomatiques du nouveau président s’inquiètent de plus en plus des nombreux défis qui attendent le nouveau régime et qui peinent à être pris en charge. Dans quelques semaines, des millions d’enfants congolais reprendront le chemin de l’école. Un rendez-vous de taille étant donné que la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire a été une des promesses phares de M. Tshisekedi. Tiendra t-il parole? Allons-nous assister à des nouvelles grèves d’enseignants? Ce vent suffira-t-il à rapprocher la belle Gombe de la réalité du reste du pays? Sinon que faudra-t-il pour y parvenir? Parce que comme nous l’a si bien dit  un diplomate d’un autre État occidental, les nouveaux gouvernants devront comprendre rapidement que « le temps n’est pas indéfiniment élastique ». Et les Congolais ? Quelle élasticité de temps leur accorderont-ils, surtout que la procrastination des élites à trouver des solutions à leur problèmes leur coûte cher ? 

Fred Bauma est activiste et directeur de recherche au Groupe d’étude sur le Congo. 

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