Le territoire de Beni, partie intégrante du diocèse de Butembo-Beni, a été une nouvelle fois secoué, dans la nuit du 23 et 24 décembre 2016, par des attaques simultanées, causant la mort d’une trentaine des civils, contre les localités de Ntobi, Mambingi et Mayi-tatu dans les environs de la localité d’Eringeti, épicentre des cruelles tueries en répétition depuis le 04 octobre 2014. Cette attaque intervient après les attaques attribuées aux miliciens des groupes Nyature et Mazembe dans la collectivité de Bwito en territoire de Rutshuru et ayant causé la mort d’une quarantaine de personnes parmi les civils (Nande-Hutu). En quinze ans pratiquement les populations de cette entité ecclésiastique de Butembo-Beni font face à des attaques à chaque fin d’année sans l’on parvienne à identifier de manière exacte l’assaillants, ni à élucider les motifs des attaques ou encore à entreprendre des enquêtes pouvant parvenir à ces faits. Les quelques tentatives d’enquêtes initiées ou entreprises n’ont jamais donné des résultats escomptés ni arriver en termes. Et, en quinze ans, la rhétorique n’a pas changé. Du coté des organisations de la société civile et de la population, c’est toujours la désolation, les dénonciations et les appels, sans espoir, aux autorités à plus de pro action en vue d’éradiquer le syndrome ou phénomène groupes armés. Du côté des autorités, l’on revient sur les mêmes accusations, notamment la présente des éléments de l’ancienne rébellion ougandaise ADF-Nalu, la réduction du problème à la difficile cohabitation communautaire et les incessantes demandes adressées aux populations à se désolidariser des groupes armés ou à dénoncer les membres de ces groupes. Aucun questionnement n’a été envisagé pouvant conduire à l’évaluation des approches ou politiques publiques entreprises pour résoudre la question de la question persistante dans l’ensemble de la partie orientale et, en particulier en territoires de Beni, Lubero et Rutshuru. Cette attitude est à la base des suspicions et des interprétations diverses au sein de l’opinion publique qui croit, en tort ou en raison, à l’existence d’un complot pour assujettir les populations de cette partie du pays ou à la réalisation de ce que d’aucuns qualifient de balkanisation.
En réalité, les attaques quasi cycliques de fin d’année dans la région de Beni-Lubero comme les multiples attaques dans d’autres entités du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri, voire le Tanganyika, loin d’être considérées comme des actes isolés que posent les milices ou groupes armés actifs, rentrent dans la dynamique régionale de déstabilisation qui prend corps dans le complexe processus du rétablissement de la paix et de la sécurité ainsi que la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. Cette dynamique se traduit par l’extrême fragilité des forces de sécurité congolaise et l’inadaptation, mieux la limite de l’approche face aux défis que présente la persistance des groupes armés et des milices locales dans la partie orientale. Et, elle inclut les questions liées à l’absence d’une politique publique sur la gestion et l’accès à la terre, l’exploitation des ressources naturelles et minérales, la gestion controversée de l’afflux migratoire, des mouvements transfrontaliers et des déplacés internes et la pression démographique, le tout dans l’optique d’une culture politique paroissiale et d’une complexe, voire difficile, adaptation aux principes et règles de la gouvernance démocratique, responsable et redevable, propre aux régimes de démocratie représentative moderne.
En effet, l’un des objectifs prioritaires de la gestion de transition après la fin formelle du conflit armé meurtrier qui a déchiré le pays entre 1996-2003, consistait à mettre à place une armée nationale structurée et intégrée censée contribuer au rétablissement de la paix et de la sécurité et à la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national, en perspective de l’instauration du nouvel ordre politique fondée sur une nouvelle constitution et à l’issue d’élections libres, transparentes, démocratiques et pluralistes. Dix ans après, le rêve d’un nouvel ordre politique véritablement démocratique s’estompe, pendant que la partie orientale du pays ne cesse de sombrer dans un cycle infernal des violences. La région de Beni enregistre à elle seule, selon les statistiques de la société civile locale, plus d’un millier des victimes d’une nouvelle forme de violences cruelles qui a débuté en octobre 2014 et attribué aux membres de l’ancienne rébellion ougandaise ADF-Nalu. Depuis janvier 2016, les régions du sud de Lubero (Miriki, Buleusa, Mbughavinywa) et du Nord de Rutshuru (Nyamilima, Nyakakoma, Nyanzale, Kiwanja et Kibirizi) sont les théâtres des attaques attribuées aux miliciens Mazembe, NDC-Guidon et Nyatura. Plusieurs civils appartenant aux communautés Nande et Hutu sont victimes de ces attaques. Malheureusement, après chaque attaque, certains membres, parmi l’élite politique de deux communautés, pointent du doigt l’autre, selon que les victimes sont Nande ou Hutu. Une manière de faire croire à l’existence d’un conflit communautaire (interethnique), se souciant guère de s’interroger sur le bien-fondé des politiques publiques ou des approches entreprises par le gouvernement pour résoudre la question récurrente de la persistance de l’activisme des groupes armés dans la région, laquelle semble être au centre des méfiances, non seulement entre les communautés mais aussi entre les pays de la région des grands lacs. Point n’est besoin de rappeler que le lancement des activités militaires ou l’état de belligérance régionale depuis 1996 a été justifié par la gestion controversée des éléments armés des anciennes forces armées du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi sur le territoire congolais. Ces trois pays, en effet, ont toujours soupçonné les gouvernements successifs du Congo-Zaïre de maintenir une menace à la sécurité des frontières communes suite à la présence des éléments armés ayant appartenus aux armées des régimes déchus. Pour la sa part, Kinshasa reproche Kigali, Kampala et Bujumbura d’entretenir sur leurs sols des éléments armés pour déstabiliser le régime établi et menacer l’intégrité de son territoire. En dépit des accords et autres instruments de paix convenus entre les Etats et fixant les mécanismes de résolution de la présence des éléments armés originaires de pays de la région sur sol congolais, les éléments des anciennes forces armées rwandaises et des miliciens interhamwés impliqués dans le génocide rwandais de 1994, les éléments de la nébuleuse rébellion ougandaise ADF-Nalu enkystés dans les forêts de Beni depuis 1986 et, dans une certaine mesure, les membres de la rébellion burundaise FNL, n’ont pas cessé de constitué la pomme de discorde entre les capitales des pays de la région des grands lacs. Et, contrairement aux allégations faisant état de la menace contre leurs pays d’origine, les membres de toutes ces rébellions commettent plus d’atrocités contre le territoire et les populations congolaises.
Depuis 2014, par exemple, le gouvernement congolais a attribué aux éléments ADF-Nalu, les attaques cruelles contre les populations civiles dans la région de Beni. Pourtant, des études et enquêtes menées par des organisations indépendantes, y compris les de la société civile locale et des experts de l’Onu sur l’embargo, ont démontré que les tueries en territoire de Beni ne sont pas l’œuvre des seuls éléments de la rébellion ADF-Nalu. Mais que certains éléments des forces armées de la RDC, notamment ceux conduits par le général Akili Muhindo alias Mundos ainsi que les anciens éléments de la branche armée de la rébellion du RCD-K/ML et certaines milices locales et tribales, ont participé ou contribué à la perpétration des massacres dans la région. Malgré toutes ces conclusions, aucune enquête n’a été diligentée par étayer les allégations contenues dans les rapports publiés, même pour permettre de disculper les membres des forces armées de la RDC mis en cause, ni pour consolider la version faisant état de la participation des acteurs politiques et des enfants de la région dans les massacres. Bien au contraire, le gouvernement s’obstine à désigner comme auteurs les éléments de la nébuleuse rébellion ADF. Les quelques-uns arrêtés, ont été soit relâchés sans qu’il ait ouverture d’une procédure judiciaire ayant décidé sur leur sort, soit maintenus en prison sans jugement établissant leur culpabilité.
Concernant la situation dans le sud de Lubero, toutes les missions gouvernementales y dépêchées entre février et mars 2016, ont conclu que les tensions dans la région se sont plus fondées sur la mauvaise interprétation de la longue présence des éléments FDLR dans la région. Donc l’entendement du gouvernement congolais, les tensions dans cette partie sont causées par la présence des éléments du groupe FDLR, qualifié de force négative aux termes de l’accord de Lusaka de 1999 et les autres instruments de paix subséquents convenus entre Kinshasa et Kigali. Malgré cette position officielle, les élites politiques de deux bords ne décolèrent pas. Les politiques de la communauté Hutu accusent le nande d’ouvrir leur espace linguistique aux autres communautés de la région et envisagent de contraindre les membres de la communauté nande vivant dans le Rutshuru de quitter pour rejoindre les entités nande de Kanyabayonga et autres dans le sud de Lubero, avant d’entrevoir le démembrement de la province pour se donner la chance de présider aux destinées de la partie de la province démembrée. C’est cette compréhension du problème qui est à la base des attaques enregistrées dans les entités du nord de Rutshuru contre les membres de la communauté Nande. Et, ces derniers n’envisagent pas laisser faire, deux attitudes ou compréhensions fondée du reste sur la perception erronée du problème connu dans le sud de Lubero et qui fondent les protagonistes de deux cotés d’engager les actions en attaques comme en représailles, causant malheureusement des victimes parmi les civils de toutes parts. Ces actions s’écartent du réel cible, entendu le gouvernement, incapable de mettre en exécution ses propres recommandations et décisions pour résorber les tensions prétendument communautaires ou de lier l’existence des milices à l’une ou l’autre communauté. La question des milices et autres groupes armés est une conséquence de l’exécution controversée des programmes et politiques publiques envisagés pour la formation de la nouvelle armée structurée et intégrée et le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion dont seul le gouvernement doit être tenu responsable. Il en est de même des questions de l’afflux migratoire, des mouvements transfrontaliers et des déplacés internes. Se perdre dans des considérations communautaires pour des questions de gouvernance, c’est se livrer un jeu très hasardeux et qui profite au gouvernement censé doter le pays des publiques sur toutes les questions d’intérêt national et régional, de surcroit, la question comme de la gestion et de l’accès à la terre dont les principes et règles doivent être en perpétuelle mutation en étant compte de l’évolution démographique (densité de la population) et de l’aménagement du territoire national.
Aucune règle ne contraint personne à se faire délivrer une autorisation pour se rendre d’une entité à une autre ni pour établir sa résidence ou son domicile à tel ou tel autre endroit du territoire national. Le fait pour un gouvernement d’établir les autorisations de sortie, du genre feuille de route, individuelle ou collective, qui, du reste n’est de mise que pour une catégorie bien déterminée des fonctionnaires ou personnes en franchise des frontières, ouvre la voie à des suspicions et interprétations diverses à la base de la méfiance entre les ressortissants d’un même pays.
De ce fait, aussi longtemps que le gouvernement congolais ne dotera pas le pays des politiques publiques claires sur la gestion, l’accès à la terre, la gestion des ressources naturelles, les mouvements migratoires et transfrontaliers et le rétablissement de la paix et de la sécurité, l’on continuera à se perdre dans des considérations qui ne peuvent rien apporter aux multiples problèmes de gouvernance. L’être humain étant guidé par l’instinct de la satisfaction de ses intérêts, seul l’établissement des principes et règles de gouvernance clairement définis peuvent stopper cet instinct et assurer l’équilibre et la cohabitation communautaire. Passer outre ces exigences, équivaudrait à se livrer à la recherche infernale du bouc émissaire sans parvenir à résoudre le problème.