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Crise au Nord-Kivu : on blâme toujours les autres

Plus d’un mois depuis les tueries ethniques de Miriki, la tension ne faiblit pas dans la province du Nord-Kivu et ce, en dépit de deux missions des gouvernements provincial et central dépêchées dans la région, en l’espace d’un mois, en vue d’une évaluation et pour tenter une réconciliation entre les deux communautés antagonistes. Bien au contraire, le conflit semble gagner les autres entités de la province, notamment le territoire de Rutshuru, où les deux communautés Nande et Hutu vivaient en harmonie avant le déclenchement des activités militaires sur le territoire congolais inaugurées par la guerre de 1996-1997 ayant mis fin au régime du feu Président Mobutu.

Dans la nuit de samedi 28 au lundi 29 février 2016, six personnes ont été tuées et une dizaine des maisons incendiées à la suite des altercations survenues entre les communautés Nande et Hutu dans la localité de Nyanzale, collectivité de Bwito en territoire de Rutshuru. A l’origine de ces nouvelles violences, un corps sans vie d’une personne supposée appartenir à la communauté Hutu retrouvée la veille dans la brousse et supposée avoir été victime d’actes de violence attribués à la communauté Nande. Les rescapés Nande en fuite, dont Jérémie Malingi, président de la communauté Nande à Nyanzale, ne réalisent pas le laxisme dont ont fait montre les services de sécurité et les pouvoirs publics pour arrêter les attaques ciblées imputables aux membres de la communauté Hutu.

A Kinshasa, le Ministre de la Communication et des Médias, Porte-Parole du Gouvernement, a recouru à sa rhétorique légendaire pour donner la version officielle des faits et des causes de cette escalade des violences à Miriki lors du point de presse hebdomadaire du lundi 29 janvier 2016. Selon lui, en effet, la violence est l’œuvre des éléments FDLR qui, pour s’offrir un séjour paisible sur le territoire congolais, entraine les Hutu congolais dans un antagonisme contre les autres communautés locales. Et, de conclure que la violence résulte donc de la mauvaise compréhension par les communautés sur les raisons de la longue présence des Hutus rwandais sur le sol congolais.

Une façon très simpliste de disculper la responsabilité du gouvernement dans la dégradation continuelle de l’environnement sécuritaire dans la province du Nord-Kivu en particulier et dans l’ensemble de la partie orientale du pays, en général. En effet, lorsqu’il s’est agi des massacres des civils en territoire de Beni, le gouvernement a vite conclu que les auteurs seraient les éléments de l’ancienne rébellion des Forces démocratiques alliées (ADF), qualifiés pour l’intérêt de la cause de mouvement terroriste en lien avec les islamistes El Shebab actifs en Somalie. Mais avec les tueries qui ne cessent d’être perpétrées, dont les dernières en date sont celles survenues dans les localités Ntombi, Samboko, Mambabio et Macheche vers Maimoya dans le secteur de Beni-Mbau, tôt le matin, et les enlèvements incessant des usagers de la route Goma-Butembo, cette thèse ne semble plus résister à la contradiction. Même le gouvernement, longtemps focalisé sur son point de vue initial, semble avoir évolué car, de plus à plus, les services de sécurité recherchent les complices parmi les populations civiles et ce, après les conclusions des différents dialogues communautaires tenus dans la région par les leaders locaux et indiquant clairement l’implication des acteurs locaux et des autorités étatiques.

La question des FDLR qui a longtemps envenimé les relations entre Kinshasa et Kigali, a été au centre des multiples programmes dont le cantonnement, le DDRRR, avant de finir par les autorisations des migrations vers les zones (Beni, Eringeti, Lubero au Nord-Kivu et Boga, Irumu en Ituri) actuellement en conflits prétendument communautaires alors que le modus operandi demeure le même, à savoir la décapitation des civils sans défense dans l’objectif de s’accaparer des terres. Sans pour autant minimiser le rôle joué par les éléments FDLR dans la dégradation de l’environnement sécuritaire dans le Sud de Lubero, des sources locales indiquent que l’escalade de la violence dans cette partie serait orchestrée par l’élite politique Hutu qui ne jure que par le retour aux commandes de la province, à défaut d’obtenir le démembrement de l’actuelle province du Nord-Kivu en deux entités provinciales autonomes. Ce qui permettra à cette élite politique Hutu de trôner à la tête de la province où les Nande seront en ballotage numérique défavorable par rapport à la communauté Hutu.

Ce débat n’est pas du tout nouveau. En effet, quelques années seulement après la mise en place des institutions politiques, la question avait été soumise aux discussions de l’une des séances de l’assemblée provinciale du Nord-Kivu. Après débat et se fondant sur la configuration de la représentation territoriale au sein de l’assemblée provinciale, il s’est avéré que l’hypothèse n’était pas du tout facile à réaliser tant il est vrai que sur les huit sièges à pourvoir dans le territoire de Rutshuru, supposé fief de la communauté Hutu, trois sièges étaient occupés par les Nande contre quatre pour les Hutu et un siège pour le Hunde.

Cette configuration reflétait bien la réalité sociologique du territoire de Rutshuru car, dans les deux collectivités qui le composent, les Nande occupent plusieurs localités et agglomérations de la collectivité secteur de Bwito, notamment Nyamilima et Kibirizi, pendant que dans la chefferie de Bwisha, la grande cité de Kiwanja est majoritairement tenue par les Nande.

En revenant sur la piste FDLR pour justifier le climat des tensions dans plusieurs entités au sud de Lubero et dans une partie de Rutshuru, le gouvernement pense détourner l’attention des réelles causes des conflits alors qu’il aurait dû s’interroger sur les actions menées par l’opération « Sokola 2 » depuis la rupture de la coopération avec les forces de la mission onusienne. En effet, selon les déclarations officielles, la capacité de nuisance des éléments FDLR avait été drastiquement réduite ainsi que le nombre des éléments encore actifs sur le territoire congolais. Mais la situation de Miriki a ramené à la surface les questions réelles, notamment le complexe processus de DDRRR, l’entretien des clivages ethniques et les échecs des opérations militaires consécutives à l’occupation par les Fdlr, depuis des longues années, de plusieurs entités à l’intérieur du territoire national, lesquelles questions n’ont jamais connu d’évolution comme l’a souvent soutenu le gouvernement congolais.

Même la mission gouvernementale dépêchée dans la région, bien qu’ayant conclu au rôle néfaste joué par les FDLR comme auteurs intellectuels ou réels des tensions, n’est pas parvenue à atteindre ses objectifs tant il est vrai que dans la foulée de la fin de ladite mission des milliers des familles Hutu, particulièrement des femmes et enfants, se précipitaient pour regagner leurs milieux d’origine dans le Rutshuru et dans le Masisi. Ce retour dans les milieux d’origine présageait déjà la dégradation, dans un futur proche, de l’environnement sécuritaire dans la région et surtout, une nouvelle détérioration de la cohabitation entre les communautés locales.

Autant dire que le gouvernement essaie de distraire l’opinion en blâmant toujours ou en pointant de manière quasi permanente des étrangers –ADF et FDLR- comme auteurs des conflits pour des problèmes hautement ancrés dans la politique locale et qui se traduisent par la fragilité des forces de sécurité congolaises, la limite du recours à la force comme unique approche pour la neutralisation des groupes armés, le déficit de la gouvernance foncière face à la pression démographique, la mauvaise gestion du flux migratoire et la mobilisation de la jeunesse combattante et tribale pour suppléer les faiblesses des mécanismes de sécurisation du territoire par les organes compétents.

Nickson Kambale est avocat au barreau de Kinshasa et un associé au Groupe d’étude sur le Congo.

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