Skip to main content Skip to footer
< Retour aux ressources

Corneille Nangaa et le plaidoyer du glissement

Avec le lancement ce 10 février d’un appel d’offres international pour l’acquisition des kits d’enrôlement et leurs sources d’énergie, la Commission électorale nationale indépendante a amorcé un pas décisif pour l’organisation des élections. Le fichier électoral qui va en résulter, en remplacement de celui controversé de 2011, constitue in fine le socle des scrutins voulus apaisés, crédibles, transparents, libres et démocratiques. Mais, le timing imparti à cette opération, soit 16 à 17 mois, énerve les prescrits constitutionnels eu égard à la fin du mandat du président Joseph Kabila le 20 décembre 2016 et au principe de l’alternance au pouvoir. Couplée aux législatives, l’élection présidentielle ne peut, dans ce cas, se tenir le 27 novembre 2016 comme prévu dans le calendrier électoral global du 12 février 2015, non exécuté à ce jour. A coup sûr, la porte du glissement du mandat présidentiel, sur fond de glissement technique, s’entrouvre.

Aux commandes de la CENI depuis le 20 novembre 2015 après la démission un mois plus tôt de l’Abbé Apollinaire Muholongo Malumalu, Corneille Nangaa Yobeluo est donc entré de plain-pied dans le processus électoral. Cet appel d’offres vise l’acquisition de 20.200 kits d’enrôlement et leurs sources d’énergie qui va aboutir à la constitution d’un nouveau fichier électoral. Kits qui vont couvrir 17.600 centres d’inscription s’identifiant aux centres de vote géolocalisés par la CENI, dont 17.500 sur le territoire national et 100 à l’extérieur pour la prise en compte –– pour la première dans histoire de Congo –– de la diaspora conformément à la loi électorale.

Le nouveau président de la CENI prévient, cependant, que ce processus va prendre du temps : comme en 2006 et en 2011, 16 à 17 mois sont nécessaires. Outre l’existence des chemins critiques qui font que l’on ne peut pas commencer l’activité suivante sans terminer la précédente, Corneille Nangaa évoque les contraintes, notamment de délais imposés par la Loi n° 010/10 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics. Dispositions dont le Gouvernement, financier des élections, requiert le strict respect. Et la procédure s’y rapportant se présente comme suit : dépôt des offres le 31 mars, soit 30 jours après le lancement de l’appel d’offres ; l’évaluation des offres entre le 31 mars et le 12 avril, soit 15 jours ; l’attribution du marché le 16 avril, soit 5 jours; l’entrée en vigueur du contrat du 23 mai au 23 juin ;  livraison 60 jours après (ce serait le 22 juillet). A ces délais légaux, donc incompressibles, s’ajoutent le déploiement du matériel sur un pays aussi vaste que tous les pays de l’Union européenne réunis, la collecte des données qui requiert au préalable, notamment, le recrutement et la formation de près de 100.000 agents recenseurs et la constitution du fichier électoral proprement dit. Tout compte fait, le timing de 16 à 17 mois serait nécessaire pour finaliser l’opération d’enrôlement des électeurs, exactement comme en 2006 et 2011. Sans compter la complexité que rajouterait l’enrôlement des Congolais de la diaspora.

La CENI bute aussi sur les questions financières et le cadre juridique. Elle en appelle ainsi au Parlement d’adopter au cours de sa session de mars des lois qui font défaut, notamment sur la révision de la loi électorale pour l’enrôlement de la diaspora. En revanche, elle salue l’embellie sur le plan financier avec le décaissement de 40 millions USD en deux tranches par l’Exécutif pour l’opération d’enrôlement dont le coût est estimé à 202 millions USD. Entre-temps, elle a validé avec le Gouvernement un plan de décaissement à hauteur de 300 millions USD comptant pour l’exercice budgétaire 2016.

Malgré cette éclaircie, la CENI est, cependant, prise dans l’étau du délai constitutionnel et du timing de la mise en place du fichier électoral. En effet, clame Corneille Nangaa, la question du délai constitutionnel est organisée par l’article 73 de la Constitution, complété par les articles 11 et 102 de la loi électorale, qui dispose que « l’électorat est convoqué 90 jours avant la fin du mandat du président de la République en exercice ». La date du 20 septembre 2016 est ainsi consignée dans le calendrier électoral global, du reste, non exécuté à ce jour. Or, l’électorat dont question, c’est le fichier électoral à constituer et dont l’opération est encore au stade des préliminaires. Et son issue détermine les autres étapes du processus électoral. Au vu des contraintes techniques, le président de la CENI a pris les devants pour faire implicitement le plaidoyer du glissement du mandat présidentiel. Mais, Il ne se risque pas dans l’élaboration d’un calendrier réaménagé réclamé par d’aucuns sans indications claires et précises de la part des parties prenantes au processus électoral, même si par ailleurs la révision du fichier électoral et l’élection des Gouverneurs et Vice-Gouverneurs des nouvelles provinces font partie intégrante d’un calendrier électoral.

Le plaidoyer de Corneille Nangaa est une pilule amère à avaler au sein de la classe politique et de la société civile congolaises. Si la majorité présidentielle et apparentés ne s’en émeuvent outre mesure, une frange importante de l’opposition et de la société civile, regroupée au sein du Front citoyen 2016 et dans d’autres plates-formes, n’entend nullement céder à ce chant de sirène. En d’autres termes, ils ne ménagent aucun effort pour ne pas cautionner le glissement du mandat du président Kabila, en sus de leur non adhésion au dialogue politique que ce dernier a convoqué. Même l’UDPS et l’Eglise catholique, qui adhèrent à l’idée dudit dialogue, restent accrochées au cadre constitutionnel. Point de doute pour ces forces politiques et sociales que le président de la CENI fait le lit du pouvoir.

A titre d’exemple, dans son communiqué du 11 février, le collectif Filimbi, constate que le nouvel appel d’offres procède de la stratégie du « glissement » visant à maintenir au pouvoir l’actuel président de la République au-delà de son second et dernier mandat qui prend fin le 19 décembre 2016. Allusion est ainsi faite au marché de fourniture de 12 000 kits pour un montant de 31,4 millions USD attribué le 30 octobre 2015 à l’entreprise belge Zetes par le Bureau Central de Coordination (BCECO), organisme de l’Etat en charge de l’exécution des marchés publics. Corneille Nangaa est clair à ce sujet, faisant savoir que ce contrat, inconnu de la CENI, ne vaut pas dans la mesure où cette dernière, autorité contractante, n’y a été mêlée ni de loin ni de près.

Sur base des informations recoupées de plusieurs experts certifiés, ce regroupement des mouvements citoyens met en doute les délais avancés par la CENI quant à la livraison des kits d’enrôlement (leur déploiement et la formation des opérateurs), la collecte des données et le nettoyage du fichier électoral. Avec 12.000 et 20.000 kits, la livraison des kits prendrait 6 à 8 semaines contre 2 mois en 2006 et 2011, la collecte des données un à 3 mois contre plus ou moins 6 mois en 2006 et 4 mois en 2011, le nettoyage du fichier électoral trois mois maximum contre un mois en 2006 et 2011. Dans l’ensemble, ces activités pourraient prendre 6 à 8 mois. Ancien vice-président de la CENI 1, le Prof Jacques Djoli a déclaré au GEC que les délais peuvent être raccourcis et tout dépend de l’autorité contractante qui peut les mentionner dans l’appel d’offres, en en faisant ainsi une contrainte et un critère de sélection. Les kits supplémentaires achetés par la CENI 1 en complément de ceux commandés par la CEI ont été livrés dans 20 jours.

En effet, la loi sur les marchés publics (article 36) envisage aussi l’urgence. Au regard du délai constitutionnel, l’organisation des élections en 2016, particulièrement l’élection présidentielle, en est une. Par ailleurs, l’article 21 de ladite loi définit les types d’appels d’offre possibles. Cela étant, et aussi du fait que ce genre des fournitures est l’apanage des maisons spécialisées, l’appel d’offre restreint était indiqué. Et non celui ouvert comme dans le cas d’espèce. Agissant pour le compte de la CEI, le BCECO l’avait fait en adressant le 18 mars 2010 le dossier d’appel d’offres à six entreprises, à savoir Face Technologies (Afrique du Sud), Gemalto (France), Sagem (France), The Jazzmatrix (Australie), Waymark (Afrique du Sud) et Zetes (Belgique). Le marché a été gagné par cette dernière.

L’article 101 du Décret n° 10/22 portant Manuel des procédures des marchés publics envisage même la mise au point du marché après son attribution. C’est-à-dire la possibilité d’apporter quelques modifications au marché. De ce fait, la décision du BCECO d’attribuer le marché à Zetes ne pouvait pas d’emblée être rejetée par la CENI. Au motif qu’elle n’en a pas été à la manœuvre. Au bout du compte, Il y a un double emploi, par conséquent une perte de temps, les mêmes experts du BCECO ayant contribué finalement à l’élaboration du nouvel appel d’offres. Le Prof Jacques Djoli rejette l’approche du leadership de la CENI, auquel cas on annulerait les élections de 2006 et de 2011 du fait pour le BCECO d’avoir lancé les appels d’offres. Par ailleurs, le président de la CENI voue beaucoup de respect à la loi de passation des marchés publics, par exemple, et non à la Constitution du pays, hiérarchiquement supérieure. Pourtant, la CENI 1 – c’est ce qui ressort de son rapport à l’Assemblée nationale, avait considéré le respect de la Constitution comme non négociable. Ce qui avait permis la tenue des scrutins – bien que controversés – dans le délai requis pour éviter que le pays ne tombe dans la crise de légitimité. Le calendrier électoral a été même élaboré en prenant la date du 06 décembre 2011 comme fatidique, butoir. Si entre-temps le dialogue politique tel que voulu par le président Joseph Kabila ne tient pas ses promesses, il y a donc risque que la RDC bascule dans la crise de légitimité si l’élection présidentielle, particulièrement, n’a pas lieu le 27 novembre 2016.

Bref, à ce stade, rien n’indique que le Gouvernement, par la CENI interposée, tient à ce que les élections aient lieu dans le délai constitutionnel. Par exemple, le plan de financement des élections validé par les deux institutions ne porte que sur 300 millions USD pour l’exercice budgétaire 2016, soit un déficit de 188 millions USD par rapport aux 588 prévus au budget. Avec le coût de l’opération d’enrôlement des électeurs estimé à 202 millions USD, le solde de 98 millions USD, soit le douzième du coût total du processus électoral évalué à 1,145 milliard USD, est insignifiant par rapport aux 7 scrutins prévus au calendrier électoral global que le Gouvernement voudrait voir se tenir, à tout prix, dans l’ordre chronologique arrêté. A moins que l’Exécutif, qui n’entend pas non plus tendre la main à la communauté internationale parce que considérant les élections comme une question de souveraineté, se ravise, les élections ne se tiendront pas en 2016. Avec ce que cela pourrait produire comme clashes.

L’interprétation de l’article 70 de la Constitution donnée au Colloque international sur les 10 ans de la Constitution qui vient de se tenir à Kinshasa tranche avec celle de la majorité présidentielle. Pour celle-ci, en effet, tant qu’un nouveau président de la République ne sera pas élu, celui en fonction reste en place. Qualifiant cette interprétation d’erronée, le Prof André Mbata attire l’attention sur le fait que l’on parle de l’installation du nouveau président élu et non de son élection. S’il n’y a pas élection présidentielle en 2016, la RDC tomberait dans le cas de Haïti où le président Marteli a abandonné le pouvoir dès lors que son mandat est arrivé à terme, laissant les soins à l’Assemblée nationale de choisir un intérimaire afin d’organiser dans un bref délai le second tour de la présidentielle. C’est une période de turbulences que court ainsi le pays, l’indépendance de la Cour Constitutionnelle étant mise en doute.

Moise Musangana est un associé au Groupe d’étude sur le Congo et un ancien rédacteur en chef de journal Le Potentiel.

Share this