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Comment faire sauter les blocages artificiels

Dans une interview accordée la semaine dernière au Groupe d’Etude sur le Congo (GEC), le secrétaire général du PPRD, Henri Mova Sakanyi, souhaitait que la classe politique toutes tendances confondues, prenne des distances avec la «théorie du fou». Celle qui consiste à se faire peur, à se tirer mutuellement la barbichette à n’en point finir.

  1. Sakanyi parle, bien sûr, du dialogue politique annoncé depuis l’année passée par le gouvernement pour résoudre la turbulence politique autour du processus électoral. Seulement voilà, son plaidoyer pro dialogue affronte une antériorité des faits riches en vécus, en traditions, en certitudes et en méfiance, à cause d’un passé qui n’a pas toujours été géré dans l’intérêt de tous. Et dont les Congolais paient aujourd’hui, dans leur chair et leur sang, les conséquences les plus dramatiques.

Au-delà des égos, le discours politique congolais est en effet très largement truffé d’hypocrisie mais aussi de cynisme. Le dialogue n’y paraît pas comme le lieu idoine d’une indispensable catharsis collective, mais plutôt comme un piège mortel, dans lequel les plus malins ont vocation à dribbler sans état d’âme les naïfs, quand les plus puissants n’ont à la bouche que le langage de la force pour inoculer la peur et s’imposer par la terreur.

Mais le véritable drame réside dans le fait que l’impasse historique devant laquelle se trouve la majorité n’est jamais compensée par la capacité, vraie ou supposée, de l’opposition à s’organiser, à mobiliser par-delà ses querelles de clocher, mais aussi par son aptitude à offrir une alternative réellement crédible.

Sans doute est-ce pour cela que l’Udps, analysant à sa manière les faiblesses structurelles de cette opposition, y compris les siennes propres, dans son itinéraire historique comme dans son ancrage sociologique, s’est-elle convaincue, au regard d’un champ de manœuvre de plus en plus étroit, que cette opposition n’a plus ni ressort intellectuel, ni ressources morales et politiques suffisantes pour imprimer une marche forcée à un destin plus qu’incertain. Le parti d’Etienne Tshisekedi n’exclut plus désormais le dialogue comme un mal nécessaire face au risque d’une instabilité exponentielle. Quitte à l’assortir des conditions qui ont, il faut l’admettre, un mérite incontestable : celui de mettre à l’épreuve la bonne foi de la majorité.

Aller au dialogue pieds et poings liés, sans un engagement clair et précis sur le respect du socle commun qu’est la constitution eut été non seulement un non-sens, mais surtout un chèque en blanc signé en faveur du président Kabila et de la majorité. Il reste cependant que tout le temps perdu dans la polémique rapproche les Congolais des échéances et creuse davantage le fossé qui les sépare.

A l’exemple de ce drame communautaire qui pointe de nouveau dans les Kivu. Après les blessures infligées depuis fin 2014 à Beni et ses environs et, plus récemment, la tragédie de Miriki, Nande et Hutu, grâce à leurs tireurs de ficelles qui multiplient réunions et conciliabules à Kinshasa, sont sur le sentier d’un conflit aux conséquences imprévisibles, au moment où des rumeurs persistantes indiquent que d’anciens miliciens ont tendance à reprendre du service, et où dans Uvira surchauffé par l’évasion des prisonniers et des mouvements d’infiltrations, la population se sent chaque jour en danger.

Dans l’entretien précité accordé au GEC, Henri Mova Sakanyi y déplorait à juste titre que ceux qui ont obtenu des strapontins et des maroquins ministériels grâce à la kalachnikov ne soient pas intéressés par un jeu démocratique qui réduirait leur influence tant dans les salons de Kinshasa que localement.

Il faut donc trancher, avant que quelqu’un d’autre ait l’idée de le faire à la place des Congolais et que ces derniers aient de nouveau le sentiment qu’ils ne seront jamais maîtres ni de leur pays, ni de son destin. Sauf qu’il y a ce blocage né d’un choix apparemment cornélien, entre la tripartite majorité-opposition-Ceni (plus la communauté internationale) voulue par la frange la plus bruyante de l’opposition, et le dialogue politique inclusif tel que proposé par le chef de l’Etat. Un blocage qui ne devrait pourtant pas l’être. D’abord parce qu’il se fonde uniquement sur l’ordre du jour apparent, personne n’osant évoquer courageusement les questions qui fâchent relatives à la prolongation du mandat, à la possibilité de faire sauter le verrou sur la durée et la limitation des mandats, aux garanties sécuritaires éventuelles pour Joseph Kabila et ses proches. Ensuite, parce que d’autres options sont disponibles, notamment celle consistant à mettre toutes les propositions dans un même panier, son mérite étant à la fois de flatter les égos mais aussi de prendre en compte les réflexions de chacun.

Premier acte de cette démarche : organiser la fameuse tripartite sous le regard de la communauté internationale et du facilitateur désigné. Ce qui permettrait de vider la question de l’échéancier de la révision du fichier électoral et d’offrir à l’ensemble des acteurs la même grille de lecture du nouveau calendrier global et de ses contraintes.

Deuxième acte : après entérinement du nouveau calendrier global, se poserait la question, en cas de dépassement technique des délais, de la gestion de la période à venir, posant du coup le dialogue comme une évidence, une nécessité et une urgence pour tous.

Troisième acte : le dialogue lui-même qui connaîtrait trois temps forts. D’abord l’engagement solennel de tous les acteurs sur l’intangibilité de la constitution. Ensuite, la question du statut, du format et des obligations de l’équipe en charge de la gestion de la période post-dialogue après avoir pris acte du congé donné à l’assemblée nationale et au sénat en faveur d’une légifération par décret limitée aux objectifs de la période de transition. Enfin, des discussions sur les garanties mutuelles de bonne fin ainsi que les garanties sécuritaires avec l’appui de la communauté internationale, assorties d’un régime de sanctions contre toute personne, quelle que soit sa tendance politique, susceptible de menacer le processus, ou coupable de graves violations des droits de l’homme.

Le 4 février 2016, le sénateur américain Edward J.Markey écrivait au secrétaire d’Etat John Kerry pour lui faire part de sa préoccupation sur la situation en RDC. Il évoquait l’urgence d’un message clair de la part de Joseph Kabila sur sa volonté de ne pas tenter de confisquer le pouvoir à l’issue de son deuxième et dernier mandat ; la nécessité d’une plus grande implication de la communauté internationale pour soutenir le processus électoral et les investissements privés ; l’adoption d’un régime de sanctions ciblées en cas d’absence de progrès notables sur la voie de l’organisation des élections.

Le sénateur américain se faisait l’écho des préoccupations exprimées fin janvier par la Coalition de Plaidoyer pour le Congo. Pour celle-ci, si des initiatives courageuses et déterminées ne sont pas prises dans l’urgence, la situation en RD Congo pourrait très rapidement dépasser celle du Burundi et déstabiliser toute la région des grands lacs.

 

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